Nous étions dans mon appartement, dans cette pièce que j'avais aménagé en petit studio pour ces séances photo imprévues. Appuyé négligemment contre mon tabouret et une cigarette coincée entre les lèvres, je laissais mes doigts appuyer à plusieurs reprises sur le déclencheur. Comme toujours avec Mila, ce n'était pas moi qui travaillait, c'était elle. Moi, je me contentais juste d'appuyer sur le bouton. Je la regardais jouer avec l'objectif, poser comme une véritable professionnelle, sans même n'avoir besoin que je la guide. Elle savait toujours ce qu'elle devait faire, comment elle devait le faire et comme à chaque fois, elle me bluffait. Ses longs cheveux bruns tombant uniformément sur ses épaules nues, j'étais amusé par son entrain à me charmer dans cette robe noire, bien trop courte pour elle. Elle avait l'air d'une femme, d'une vraie femme avec ses fines lèvres rouge sang. Inaccessible et incomprise, elle était et toujours serait. C'était ce que j'avais mis du temps à comprendre. Et elle posait comme si elle était seule, face à son miroir, avec attitude, prestance et arrogance parce qu'elle savait que c'était tout ce que j'aimais chez elle. Notre dernière séance photo. Voilà comment tout c'était déroulé. Je regardais les clichés de cette session, accrochés sur le mur, parmi tant d'autres photographies d'elle. Cette pièce avait des allures de sanctuaire et je me perdais dans la contemplation des nombreux clichés la représentant et desquelles émanaient cette incohérence sauvage. Tous ces photos d'elle représentaient tout simplement le meilleur de mon travail jusqu'à maintenant. Mais, Mila était partie, certainement loin désormais. Elle avait juste fini par s'envoler et j'avais été naïf de croire que je pourrais garder ce petit moineau enfermé dans la cage en or que je lui avais bâti indéfiniment. Elle était juste la plus grande réussite et le plus gros échec de ma vie. J'étouffais littéralement dans cette pièce. Je posais rapidement mon matériel sur le bureau et quittais la pièce.

Je marchais dans les rues de la ville. Il était tard, dans les environs de 23h30. Tout était toujours aussi peuplé et j'errais, sans trop savoir où j'allais. Je n'avais aucunement envie de regagner mon appartement, la solitude n'étant pas ma plus grande amie dernièrement. Je finissais par arriver devant ce bar, où j'allais souvent. J'entrais, avec la fervente intention d'en ressortir peu sobre. Comme à son habitude et en dépit de l'heure, la majorité de la clientèle avait déjà plié bagage et ne restait dans le bar que les plus fidèles consommateurs. Je m'asseyais à une table libre. « Une bière s'il vous plait. » Je passais une main dans mes cheveux alors que la serveuse me rapporta ma boisson. Un sourire puis un remerciement bref et j'en bus une gorgée. Une chanson datant des années 70 retentissait doucement dans la salle. Peu de monde, une bonne musique de fond, c'était tout ce dont j'avais besoin à ce moment. Les yeux naviguant sans réel but au sein du bar, mon regard s'arrêta sur la silhouette féminine seule assise au bar. Je la fixais longuement, ne pouvant l'identifier car elle était dos à moi. Elle était menue, ses cheveux couvrant son dos. Je détournais la tête quand je vis qu'elle parlait calmement avec l'un des serveurs. A un moment, je l'entendis rire. Ce rire. Son rire. Je la fixais à nouveau, reconnaissant cette silhouette pâle et ces cheveux foncés. Je bus une nouvelle gorgée de mon verre. Elle était loin et je savais pertinemment qu'elle ne remettrait plus jamais les pieds ici. Et pourtant, c'étaient bien les yeux de Mila que les miens venaient de croiser.

365 jours. Cela faisait aujourd’hui, trois cent soixante-cinq jours que j’avais quitté Town Square pour partir à l’aventure, à New York, réaliser mon rêve. J’avais du plomb dans la tête et j’y avais trop cru. Tellement cru au succès que mes yeux voyaient déjà les paillettes. La réalité était ben plus difficile que l’idée que l’on s’en faisait. Une fois là-bas, tout est plus compliqué, la vie, les gens, les castings… Rien de ce que vous aviez prévu ne se passe. Et pourtant, ça n’est pas faute d’essayer. Hermès disait souvent « comme toujours avec toi, ce n’est pas moi qui travaille, c'était toi. Moi, je me contente juste d'appuyer sur le bouton ». Il pensait que c’était mo qui rendait la photo belle. Un an plus tard, je me suis rendu compte que c’était lui que me rendait belle lorsqu’il me photographiait. C’était le fruit de son travail et pas uniquement du mien comme il me le répétait très souvent. Et lorsque j’eu compris cela, il était temps pour moi de revenir chez moi. Un an avait passé et je posais mes lourdes valises sur le sol de Town Square. Enfin. Le temps me parut long et je me sentais comme dépaysée bien que ce soit chez moi, ma ville. New York et Town Square sont deux villes qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Il serait même impossible de les comparer tant les différences sont nombreuses.

Il était 23 heures et le dernier bus de nuit me déposa au terminus. Le bar était encore ouvert, et heureusement pour moi, car j’étais fatiguée par le trajet et assoiffée. Je poussais la porte et un bruit annonça mon arrivée. Je posai mes deux valises à terre et grimpa sur le haut tabouret face au comptoir du bar. Je commandai au serveur et posa ma joue dans a paume. Puis, je passai ma main dans mes cheveux bruns, lâchant un soupir plutôt mélancolique. Le serveur m’apporta ma commande, je le remerciai et lui demanda s’il y avait encore des bus à cette heure-ci. Il me répondit par la négative en me confirmant que c’était bien le dernier. Je soufflai.

Un bruit retentit, quelqu’un venait d’entrer. Je bu une gorgée de ma boisson tout en continuant ma conversation avec le serveur. Une chanson datant des années 70 retentissait dans la salle. « Une bière s'il vous plait » Je connaissais cette voix familière. Je tournai mon visage presque instinctivement lorsque mon oreille reconnu cette voix masculine. Je reconnu Hermès. Mon regard croisa le sien. Je compris qu’il m’avait reconnu. Je me redressai, plissai les yeux. « Hermès ? » Un sourire en coin se dessina sur mes lèvres. Mon coeur battait à tout rompre. Je le sentais, essayant de sortir de ma poitrine.

« Hermès ? » Elle se tenait là, devant moi, et je levais les yeux sur elle. La même fille que la dernière fois que je l'avais vu, avec toujours ce brin de mystère dans le regard. Je remarquais le sourire en coin qui se dessinait sur ses lèvres et ça m'affirmait qu'elle n'avait en aucun cas changé. Mila avait toujours eu - du moins, pour le peu que je connaissais d'elle - cette facilité à agir comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes, comme si rien n'importait vraiment. Je pense que c'était le cas. Rien ne l'importait, mis à part son projet professionnel, et le pire, c'est qu'elle ne s'en était jamais cachée. J'avais souvent pensé à ce moment là, au moment où on se reverrait, si un jour on se revoyait, me demandant toujours quelle aurait été ma réaction. Je pouvais soit réagir bien et admettre qu'elle m'avait énormément manqué soit réagir mal parce que le fait qu'elle soit partie comme une voleuse avait profondément blessé mon égo. Maintenant qu'elle était face à moi, c'était plus pour la deuxième option que je penchais, surtout avec ce sourire qui animait ses lèvres. Elle était partie sans prévenir et n'avait jamais donné signe de vie depuis un an et maintenant, elle revenait comme si de rien n'était. La vérité, c'est que j'appréciais vraiment Mila, comme personne. C'était l'une des rares personnes pour qui j'avais une réelle estime, mis à part ma famille, et quand elle était partie, elle avait juste tout ruiné. Au final, je lui en voulais pas à elle. Je m'en voulais à moi. Elle avait toujours joué franc jeu avec moi, en m'avouant dès le départ qu'elle était une actrice née. Moi, j'avais juste été stupide que le mélange de nos relations professionnelles et personnelles faisaient de moi une exception à la règle. « Mila. »

Je remarquais ses valises au bar et comprenais qu'elle venait de rentrer. Elle passa une main dans ses cheveux et je la sentis gênée. Je la regardais et malgré la colère qui régnait en moi, je n'avais qu'une envie, qu'elle me parle, que j'entende sa voix, son rire desquels j'étais privé depuis près d'un an. Le deuxième truc avec Mila, c'était qu'on ne pouvait jamais resté fâché longtemps. Cependant, je préférais rester sur mes gardes. J'avais foncé dans un mur en lui accordant ma confiance une fois, je ne ferais pas la même erreur deux fois. « Qu'est ce que tu fais là ? Tu t'es sans doute trompée de destination. » Mon ton était légèrement sec, dû à la surprise, et je commençais à jouer avec mon verre. Je mourrais d'envie d'écouter ses explications, de savoir pourquoi elle était là, pourquoi elle était tout simplement partie. D'un geste bref, je désignais la chaise, en face de moi. « Tu seras peut être un peu plus à l'aise si tu t'assois. Tu penses pas ? »

C’était bien Hermès qui se présentait sous mes yeux. Cela faisait un an jour pour jour que j’étais partie comme une voleuse, sans laisser de trace, sans donner de nouvelles. Bien sûr, je m’en voulais. Ce que j’avais fait n’était pas correct. Mais je lui avais toujours annoncé mes envies, mes priorités. Il en avait conscience. Mais malgré mes recommandations, j’étais sûre qu’Hermès n’allait pas m’accueillir les bras ouverts. Il m’appela par mon prénom. Son regard se baissa pour finir sur les bagages. Puis, il me regarda à nouveau. Il n’avait sûrement pas envie de me voir, en fait, j’en savais rien. « Qu'est ce que tu fais là ? Tu t'es sans doute trompée de destination. » Distant, froid, détaché. Tout ce à quoi je m’attendais. Je ne répondis pas de suite. J’étais sûre qu’il avait tout ce mal en lui que je lui avais fait et qui devait sortir. Il semblait que le moment était venu. Je le regardais toujours, mon sourire s’étant dissipé. La joie de le retrouver avait laissé place aux obligations des explications. Je ne pouvais y échapper et nous le savions tous les deux.

« Tu seras peut être un peu plus à l'aise si tu t'assois. Tu penses pas ? » Je détournais le regard pour prendre mon verre. Je descendais de ma chaise de bar et me dirigeais en silence vers cet homme a qui j’avais pensé tous les jours depuis mon départ. Je posai mon verre sur la table, évitant soigneusement de croisé son regard. Avais-je honte de mon comportement ? de la façon dont je l’avais quitté il y a un an ? Peut-être bien. « Écoute, je sais que tu m’en veux….. » Bizarrement je voulu ajouter quelque chose à la suite de ma phrase, mais rien ne venu. «…je suis partie comme une voleuse, tu dois me détester, et tu aurais bien raison… » finis-je en replaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille. je faisais souvent ce geste lorsque j'étais mal à l'aise. Je venais de me trahir.

Elle devait avoir senti que je lui en voulais car son sourire disparut rapidement de ses lèvres. J'avais un très mauvais caractère quand je le voulais et elle était bien placée pour le savoir. Néanmoins, elle prit place face à moi et ça me rassura dans un sens. Maintenant qu'elle était là, je n'avais nullement envie qu'elle se défile. C'était ce qu'elle avait fait pendant un an et c'était largement suffisant. Je la regardais fixer son verre, gênée par mon accueil peu chaleureux. « Je pensais pas te revoir un jour. » Elle était plus proche de moi et je l'observais plus longuement. Elle n'avait pas vraiment changé physiquement, ou alors très peu. Je remarquais que son visage avait quand même un aspect plus mature que la dernière fois que je l'avais. J'avais photographié cette fille un bon millier de fois, sous toutes les coutures et son visage n'avait aucun secret pour moi. A vrai dire, j'étais capable de dire ce qui avait exactement changé jusqu'à la dernière tâche de rousseur. Elle releva soudainement la tête vers moi et son regard croisa une nouvelle fois le mien. « Écoute, je sais que tu m’en veux….. » Elle se tut, rouvrit la bouche, puis la referma. Sa main balaya nerveusement ses cheveux et elle ajouta calmement : «…je suis partie comme une voleuse, tu dois me détester, et tu aurais bien raison… ». Je levais nonchalamment les yeux au ciel. « Arrête, Mila. S'il te plait. » Le plus grand problème avec une actrice, c'était qu'on savait jamais réellement si elle était sincère ou pas. Je voulais pas d'excuses bidons qui auraient suffi à n'importe quel abruti. Je me fichais qu'elle reconnaisse qu'elle avait fait une erreur en partant par la petite porte, je me fichais qu'elle comprenne ma colère mais elle était toujours là, à essayer de me donner ce qu'elle pensait que je désirais. Or, je savais même pas ce que je désirais réellement.

« Ta grand mère m'a dit que tu étais partie pour New York. Tu répondais plus, alors… » Je haussais les épaules et bus une nouvelle gorgée de mon verre. Ca me surprenait qu'elle soit là, à Town Square. En plus d'être ma muse et mon amante, Mila était mon amie. Je l'avais écouté se confier de nombreuses fois, dans le creux de mon oreille. Elle voyait la vie en grand, rêvait de choses plus extravagantes les unes que les autres. Parfois, elle évoquait le fait qu'elle n'était qu'en passage en ville et sa manière de parler de New York laissait songer qu'une fois qu'elle aurait quitté la ville, elle ne reviendrait jamais. Tout plaquer sans aucun remords, c'était définitivement son truc. Le bar commençait vraiment à se vider et nous faisions parti des derniers clients. « Pourquoi t'es revenue ? » Je restais encore sur mes gardes avec elle. La différence entre elle et moi, c'était qu'elle savait parfaitement faire la part des choses. Elle savait différencier son jeu du reste, pas moi. Et c'était bien pour ça que je m'efforçais de laisser de la distance entre nous.

La tension était quelque peu palpable entre nous. Mila était hésitante, fuyant mon regard autant qu'elle le pouvait. Elle semblait vraiment peu sûre d'elle et j'en étais surpris car ça ne lui ressemblait en rien. De mon côté, j'avais passé une mauvaise journée et je n'aurais pas pu juger si avoir Mila en face de moi me l'égayait ou me l'empirer. J'avais toujours cette impression qu'elle s'était jouée de moi, que j'avais été un de ses nombreux jouets à un moment de sa vie. C'était certainement le cas. Cette fille n'avait peut être pas encore décroché de rôle dans un blockbuster mais elle tenait le rôle principal dans l'histoire de sa vie et nous étions tous - nous les gens qu'elle rencontrait - une étape à passer comme les différents niveaux d'un jeu vidéo. « Tout ne se passe pas comme on le voudrait… » Ses yeux vagabondaient dans la salle. Ils observaient tout, les craquelures sur le mur, le lustre au plafond, le verre vide qu'elle posa sur la table. Ils observaient tout si ce n'est moi. Elle ne voulait pas en parler donc elle fuyait mon regard. Au moins une habitude qu'elle n'avait pas perdu. Je devinais que sa grande vie new-yorkaise n'avait pas porté ses fruits. Si ça avait été le cas, je pense qu'elle n'aurait jamais remis les pieds ici. « Quoi qu'il en soit, je suis ici maintenant… » Elle ajouta ceci rapidement, comme pour éviter que je m'attarde sur son échec. Et elle me touchait. J'avais connu un grand nombre de filles dans ma vie mais aucune ne ressemblait de près ni de loin à Mila. Tel que je la voyais, elle représentait une bombe prête à exploser à n'importe quel moment. J'admirais son côté idéaliste ainsi le paradoxe de la femme-enfant qu'elle maniait avec brio. Ce soir, face à moi, elle semblait juste épuisée. Brisée. « Ca craint. Désolé. » C'était sorti seul, sans que je ne le veuille. Mais j'étais vraiment sincère et j'espérais qu'elle le savait.

Elle ne voulait vraiment pas en parler et de toutes façons, je n'étais pas là pour la forcer. C'était sa vie, c'était elle que ça concernait. Pour rompre ce silence assez gênant, elle décida de changer de sujet. « Tu fumes toujours, je suppose ? » Je hochais positivement la tête. « Ouais. Il y a des choses qui changent pas. » Elle se leva, me jetant un coup d'oeil pour que je fasse de même. Je terminais rapidement mon verre et la rejoignais à l'extérieur du bar. Je prenais la cigarette qu'elle venait de me tendre, la remerciant, et l'allumait. On resta quelques secondes, l'un à côté de l'autre, elle appuyée contre le mur et moi debout face à elle, sans parler. Je voulais rompre le silence, la mitrailler de questions, comprendre tout simplement. Je ne savais pas exactement ce qui s'était passé à New York pour elle mais ça ne changeait rien à la situation. Malheureusement. « Alors… tu comptes faire quoi maintenant ? » Revenir comme si de rien n'était ? Prétendre qu'il ne s'était rien passé ? Je le pensais fort, extrêmement fort mais je n'ajoutais rien d'autre. Je la regardais et en voyant que j'attendais une réponse, elle haussa les épaules. Je tirais une taffe de ma cigarette et m'appuyais contre le mur, à côté d'elle. Passant une main dans mes cheveux, je baissais ma tête vers elle. « Pourquoi tu m'as pas dit que tu partais ? Je veux dire… Rien, oublie… Oublie. » Je me taisais et expirais la fumée de ma cigarette. Je sentais que Mila avait relevé la tête vers moi et à mon tour, je n'étais pas désireux de croiser son regard. Je me contentais de croiser les bras contre mon buste, coinçant ma cigarette entre mes lèvres.

Il avait voulu le savoir, et bien il l’avait su. Voilà, tout était dit, enfin pour moi. Non, je n’avais pas réussi à New York. Et oui, ça ne s’était pas si bien passé que cela. Je ne voulais pas entrer dans les détails et je lui fis bien comprendre en répondant à ses questions par des réponses courtes. L’envie de cigarettes devenant trop forte, je lui proposai d’aller dehors en fumer une. Au passage, je lui demandai s’il fumait toujours. Il me répondit affirmativement. « Ouais. Il y a des choses qui changent pas. » Effectivement, certaines choses n’avaient pas changés. J’étais restée la même, enfin je pensais. Il me demanda ce que je comptais faire maintenant que j’étais enfin revenue au bercail. « Alors… tu comptes faire quoi maintenant ? » C’était une bonne question, qui méritait réflexion. Il y eut un blanc durant de longues secondes. « Je n’en sais trop rien… Je vais essayer de reprendre mes marques, ici… trouver un travail, un vrai… » J’expulsais la fumée par la bouche, observant toujours le paysage. Puis, je jetai un regard en coin à Hermès qui se trouvait en face de moi.

Hermès vint à côté de moi, s’appuyant sur le mur. Il faisait nuit depuis longtemps. « Pourquoi tu m'as pas dit que tu partais ? Je veux dire… Rien, oublie… Oublie. » je tournais la tête vers lui, interloquée. Je sentais que cette question, il mourrait d’envie de me la poser et que c’était plus fort que lui, il avait dû me la poser. Bien qu’il m’ait dit de ne pas me préoccuper de ce qu’il venait de dire, je n’en fis qu’à ma tête. « Si je n’étais pas partie de suite je ne serais plus jamais partie… » Répondis-je le regard dans le vague. Il comprendrait ce qu’il voudra y comprendre. J’avais renoncé à m’excuser puisque cela n’avait pas été très bien reçu de la part d’Hermès. « Toujours photographe ? » lui demandais-je pour vraiment savoir si effectivement, rien n’avait changé. Je me disais qu’il avait dû se trouver une autre muse. Une autre fille qu’il aimait photographier autant que moi. Penser que quelqu’un ait pu prendre – ne serait-ce qu’un peu – ma place dans son cœur me rendait triste. Mais j’avais fait mon choix, celui de partir. Cela laissait place à la possibilité qu’il me remplace.

Le quartier était noir et silencieux. Le seul brin de vie qui l'occupait se traduisait par notre présence, à l'entrée de ce bar. Toujours ce même blanc entre nous, causé par les retrouvailles inattendues. C'était quelque chose que je ne connaissais pas avec Mila. En général, elle avait toujours quelque chose à dire. Elle était avenante et spontanée, c'était ce que j'avais toujours admiré chez elle. Elle vivait comme elle le voulait, sans se préoccuper de ce que les gens pourraient penser. Oui, elle m'avait énormément manqué mais mon immense fierté ne me permettrait jamais de le lui avouer. « Je n’en sais trop rien… Je vais essayer de reprendre mes marques, ici… trouver un travail, un vrai… » Ses yeux verts se posèrent sur moi, guettant certainement ma réaction. J'étais plutôt amusé par ce qu'elle venait de dire. Expirant la fumée de ma cigarette, j'arquais un sourcil, légèrement sarcastique. « Toi travailler ? Je pensais que tu étais trop diva pour ça. » J'esquissais néanmoins un petit sourire en coin avant de m'appuyer à côté d'elle contre le mur. Puis, je repensais à la dernière fois qu'on s'était vus. Après cette fois là, je n'aurais jamais pu prédire qu'elle allait partir. C'était ce qui me perturbait. Avec moi, elle était différente, sincère dans n'importe lequel de ces gestes. Du moins, c'était ce que je pensais et ressentais. J'avais besoin de savoir si oui ou non, elle s'était jouée de moi comme elle se jouait de tout le monde. Je ne ressentais pas de l'amour pour Mila. En fait, je ne savais même pas à quoi ressemblait l'amour. Mais j'étais certain que ce n'était pas ça. Ce que nous partagions était moins banal et plus sacré, propre à nous. Et elle avait mis fin à tout ça en un claquement de doigt. Ma question était sortie seule et je regrettais de lui avoir livrer mes pensées. Merde.

Elle me regardait, longuement, attendant peut être que je fasse de même. Je me contentais de garder les bras croisés contre mon torse et je sentis qu'elle détourna le regard. « Si je n’étais pas partie de suite je ne serais plus jamais partie… » Elle l'avait murmuré, le regard dans le vide. Je soupirais, tirant une nouvelle fois sur ma cigarette. « Ouais… Laisse tomber. » Ce n'était visiblement pas le bon moment, ni pour elle, ni pour moi. Si on commençait à en parler, je sentais déjà la colère monter et rien de ce qu'elle aurait pu dire n'aurait été une excuse valable pour moi. J'appuyais ma tête contre le mur. Nous étions vraiment proches et je pouvais même sentir son parfum, toujours le même. « Toujours photographe ? » Je hochais la tête positivement. La photographie était ma passion, elle le savait mieux que quiconque. Et depuis qu'elle avait quitté la ville, encore plus. C'était dans mes photos que je m'étais réfugié. « Toujours. Je m'intéresse à différents sujets mais oui, toujours. Puis, c'est pas comme si je savais faire autre chose de mes mains. » Ca faisait bizarre de me dire que Mila était de retour. Je me demandais comment ça allait se passer, si ça allait finir par redevenir comme avant entre nous. Il y avait toujours cette partie de moi qui restait sur ses gardes et je détestais vraiment ça. J'expirais la fumée de ma cigarette et baissais les yeux vers elle. « Et bien, bienvenue à la maison. »

Je retrouvais certains traits de la personnalité d’Hermès que j’avais quelque peu oublié. Le mystère qui émanait autour de lui et de ses pensées en faisait partit. J’étais toujours en train de me demandais à quoi il pouvait bien penser. « Toi travailler ? Je pensais que tu étais trop diva pour ça. » Ca avait eu le mérite d’être franc. Je baissai les yeux vers le sol et répondit « Je trouverais bien quelque chose… » au final, ma réponse ne réagissait pas au pic qu’il m’avait lancé à propos de mes envies de diva par rapport au travail. On revoit quelque fois ses prétentions à la baisse. Je lui posa ensuite une question par rapport à son travail, je voulais savoir s’il était toujours intéressé par la photo et s’il en faisait toujours son métier « Toujours. Je m'intéresse à différents sujets mais oui, toujours. Puis, c'est pas comme si je savais faire autre chose de mes mains. » Je ne réagis pas de suite, je réfléchissais au moyen le plus simple de rentrer chez moi, excepté la marche. « Ne dis pas n’importe quoi, tu es doué de tes mains… »

Après avoir réfléchis, je n’avais trouvé aucune solution à par celle de demander à hermès de m’aider. Je n’avais pas forcément l’envie de lui demander un service aussi rapidement, alors que nous nous retrouvions à peine. « Hermès, ça me gêne de te demander un service au bout d’une demi-heure, mais… est-ce que tu pourrais me déposer chez moi en voiture ? » J’avais fait le tour de l’ensemble des possibilités qui s’offraient à moi et Hermès était mon dernier espoir. Je ne voulais pas forcément rentrer maintenant, mais je voulais me rassurer en me disant que je ne finirais pas à dormir dans ce bar.

Ca m'étonnait que Mila n'ait pas répondu à mon pic. En fait, ça ne lui ressemblait pas. Elle était du genre à avoir un grand sens de l'auto-dérision et là, elle semblait juste…éteinte. Du coup, je culpabilisais. Je culpabilisais d'avoir été si froid plus tôt avec elle, si égoïste quand elle était partie et de lui en avoir tellement voulu alors que la seule chose qu'elle avait toujours voulu, c'était d'accomplir son rêve. Moi de mon côté, j'avais encore une fois été égocentrique car en partant sans me concerter, elle m'avait tout simplement retiré la plus grande partie de mon travail professionnel mais aussi un grande partie de ma vie personnelle. Ainsi je m'étais juste retrouvé déboussolé et je ne savais pas réellement comment faire face à cela. Maintenant, elle devait faire face au plus grand échec de sa vie et de la voir comme ça, dans un sens, ça m'affectait car je savais que jamais personne n'avait été aussi proche d'elle un jour que moi je l'avais été. « Je trouverais bien quelque chose… » Elle avait baissé la tête en disant cela et maintenant j'avais vraiment envie de savoir ce qui s'était passé pour elle à New York. « J'en suis sûr Mila. Je plaisantais. Peu importe… » J'essayais de ne pas trop m'éterniser quand elle me demanda si j'étais toujours photographe. Ca me faisait bizarre qu'elle me demande cela alors qu'elle savait à quel point elle avait été importante pour moi. Après tout ce qui s'était passé, je m'étais arrangé pour ne plus jamais mélanger le professionnel et le personnel. Peu importe la situation, ça ne donnait jamais de bon résultat. « Ne dis pas n’importe quoi, tu es doué de tes mains… » Je levais les yeux au ciel. « Toi, ne dis pas n'importe quoi. Je vais finir par te croire et tu sais que je vais être déçu quand je réaliserai que c'est faux. » Elle leva la tête vers moi, un petit sourire aux lèvres, bien qu'elle semblait être ailleurs. Je lui rendais son sourire, croisant son regard vert.

Je tirais la dernière gaffe de ma cigarette et la jetais par terre, après avoir écrasé le mégot contre le mur. Mila se tourna vers moi, se mordillant la lèvre. « Hermès, ça me gêne de te demander un service au bout d’une demi-heure, mais… est-ce que tu pourrais me déposer chez moi en voiture ? » Elle était là, coincée avec ses deux valises, sans transports pour l'amener chez elle. Certes, j'étais encore un peu blessé par toute la situation mais je n'allais pas la laisser là, toute seule. « Oui, bien sûr. » Après un sourire, Mila s'éclipsa dans le bar et en revint quelques secondes plus tard avec ses deux valises. Je l'aidais en les récupérant. « Laisse moi t'aider. » C'était ridicule, ces deux valises devaient peser plus qu'elle. Ca me fit sourire. Nous commencions à marcher et à nous éloigner du bar. Au final, c'était une bonne chose que je la raccompagne. Ca faisait quand même un an que nous ne nous étions pas vu et je pouvais parier que nous avions quand même plein de choses à nous dire. « Je suis garé un peu plus loin. Tu vis toujours au même endroit, j'imagine ? »