C'était une promesse.
Il était 20h.
Andrew ne jurait jamais sans certitude. Il n'avait jamais promis la Lune à qui que ce soit, pour quelque raison que ce soit. Il ne la promettrait sûrement jamais, laisserait son rêve à qui le voudrait. Mais il avait fait une promesse, il avait dit, il avait juré que ce soir, Ebba, je t'emmènerai danser. Par dignité, par orgueil mal placé, par mauvaise motivation ou véritable volonté, peut-être — peu importe. Il avait dérogé de ses propres principes, tourné le dos au plus infime de ses dogmes, à la plus infâme de ses habitudes, il s'était dressé contre des vents et marées que lui-même avait levés pour la certitude de quelques lumières et d'un honneur restauré. Il l'emmènerait danser, il l'emmènerait voir, un jour, peut-être ce soir, peut-être tout de suite, voir un peu ailleurs ce qui pouvait bien s'y passer. Andrew ne faisait pas confiance. Jamais. C'était un de ses défauts. Il n'avait cure de l'opinion des autres lorsque ça l'arrangeait, lorsqu'il n'avait rien à y gagner, lorsqu'il savait qu'il n'allait rien y perdre. Mais, il avait confiance en Ebba, alors l'opinion d'Ebba importait —et lui si solidement agrippé à son travail avait lâché prise pour des enfantillages de dignité perdue.
Il fallait dire qu'il lui avait avoué savoir tricoter.
C'était déjà un signal d'alarme assez significatif.

C'était l'été, et il était 21h.
Il avait lâché le boulot. Il avait lâché la routine. Il avait lâché un bout de lui-même sans, comme d'habitude, se retourner sur son chemin pour le ramasser. Parce qu'Andrew avait oublié l'été, il avait oublié les lumières artificielles, il avait oublié l'alcool, il avait oublié ce goût du nocturne, cette expérience d'un autre temps, d'un autre lui. Et c'était scandaleux. Inacceptable. Ebba l'avait charié, toute la journée, et sa virilité était en jeu, son estime de lui, aussi, un peu. Alors il lui avait dit, au détour d'une conversation, comme il lançait toujours des mots comme si toute leur importance était égale, Ebba, je te montrerai. Il était 21h et il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il faisait. Le soleil tombait doucement vers un autre côté de l'horizon et il portait autre chose qu'un pyjama ou qu'une blouse blanche. Des choses étranges se passaient dans sa vie.

Il était 22h, et il lui avait aussi promis un carrosse.
Andrew n'avait pas de voiture, d'ailleurs, il n'avait jamais passé le permis, mais puisqu'Andrew tenait toujours ses promesses, il avait ramené un carrosse.
En bas de l'immeuble qu'il n'avait quitté que quelques heures plus tôt, il sortit son téléphone.

— Hé, Cendrillon, réduction de budget chez Marraine la Bonne Fée ; ta citrouille a deux roues mais pas de moteur. Comme être un gueux n'empêche pas d'être un gentleman, il promet que seuls ses pieds toucheront les pédales. Il esquissa un sourire presque audible. Je t'attends en bas de ta tour, noble princesse.

Quasiment sûr que ce n'était pas Cendrillon qui jetait ses longs cheveux par sa fenêtre, il ne s'attarda pas sur le peu de glamour que pouvaient avoir deux jeunes gens venus en soirée sur un vélo. Cette mode du hipster lui était finalement relativement bénéfique.

Il était 22h, et Andrew retournait sur ses propres traces.
Dans des bars qu'il connaissait déjà, dans des ambiances qu'il expérimentait encore. Un goût de déjà-vu et une excitation de juste majeur. Il allait encore souvent dans les bars de Town Square, mais jamais comme ça, jamais plus comme avant — il y allait comme un homme rincé, comme quelqu'un qui sait déjà ce qu'il y cherche, ce qu'il fera, ce avec quoi, avec qui il en sortira. Il n'y allait plus avec cette croyance superficielle du destin, il n'y allait plus en jetant au hasard des dés dont au fond il se foutait bien. Il n'y allait plus comme quelqu'un qui a un défi à relever. Un peu d'adrénaline attisée par un orgueil blessé presque typiquement masculin, et il avait claqué des doigts, et il avait promis de se souvenir de ce dont il était capable. Il avait promis d'être un peu plus lui-même.

— Je suis un homme de parole ; un homme d'honneur, aussi, parfois. J'ai quitté le boulot, j'ai mis une veste à l'heure où normalement je jure que je ne sors plus, j'ai même fait du vélo, sans y être forcé. Je te le dis : tu as bien plus d'une sorcière que d'une princesse Disney. Alors, voyons voir— j'ai le budget d'un SDF, la motivation d'un étudiant, une réputation à reconquérir, et une blonde à impressionner. Un sourire au coin des lèvres, Andrew lui tendit le bras. Et juste pour la récompense de la tête que tu feras, je suis absolument certain de réussir tout ça.

Ce soir, il emmenait Ebba danser.

Shake shake shake, Señora,
shake your body line.


 

Dans un coin de sa tête, Ebba s'était dit qu'il abandonnerait. Andrew avait débarqué dans son salon le matin, comme le médecin accroché à son boulot comme une moule accrochée à son rocher, ce qu'il avait toujours été pour elle depuis qu'elle le connaissait sûrement. Ou alors ses souvenirs ne remontaient pas jusque là. Mais en l'espace d'une journée seulement il avait accepté de prendre des vacances, de relâcher un peu la pression et surtout avait admis que tricot et pâtisseries n'étaient pas des activités de son age. Tout ça en partie grâce aux encouragements d'une Ebba ensommeillée, qui était persuadée que pizza et quelques verres finiraient par avoir raison de sa vieillesse prématurée.
Mais n'était-ce pas un choc trop grand ?  Elle ne se faisait pas de soucis pour la soirée qu'il lui avait promis de faire, non, aux vues de ce qu'il lui avait dévoilé sur la deuxième face de lui-même, elle se disait que le plus grand risque était qu'elle même prenne peur. Par contre, le fait qu'une personne comme lui, si attachée à son boulot et ses habitudes, se retrouve brusquement en vacances, ça, ça pouvait être un choc. Ebba avait peur d'y être allé un peu trop fort et maintenant qu'il était parti, Elle avait peur qu'il ne revienne pas et reste dans sa tanière sans donner de nouvelles, ce qu'il savait très bien faire. Elle eut donc le plaisir de recevoir son appel. "Hé, Cendrillon, réduction de budget chez Marraine la Bonne Fée ; ta citrouille a deux roues mais pas de moteur. Comme être un gueux n'empêche pas d'être un gentleman, il promet que seuls ses pieds toucheront les pédales. Je t'attends en bas de ta tour, noble princesse." La jeune femme était loin d'être un princesse, même ses mules jetées dans un coin et sa figure plus réveillée qu'auparavant. Elle s'avança tout de même à la fenêtre pour découvrir son cavalier du soir en bas de l'immeuble. Elle sourit. Il lui en avait en effet promis un carosse, mot qu'elle avait tout de suite interprêté comme métro ou bus, mais surtout pas vélo. Ce type n'arrêtait pas de la surprendre. "J'ai cru une seconde que tu jetterai l'éponge", dit-elle par la fenêtre avant de quitter l'appartement et de dévaler les escaliers.
Faire du vélo a deux, ça lui rappelait son enfance où le but était de se mettre le plus possible dessus et d'essayer de conduire au mieux l'engin surchargé. Sauf que le porte bagages était encore moins confortable que dans ses souvenirs et qu'elle découvrait douloureusement, des nids-de-poules insoupçonnés. Mais peu importe, dans le style écolo-chic on ne peux pas faire mieux, le retour en revanche risquait d'être un peu plus périlleux... Mais mis à part le côté inconfortable la balade restait agréable. c'était un soirée d'été, le moment ou l'air est toujours chaud mais avec une pointe de fraicheur, et surtout la douce impression d'être en vacances. Ebba laissa le choix du bar où ils s'arrêteraient à Andrew, elle n'avait pas vraiment de préférence, et puis retourner dans un lieux où il avait fait des folies pouvait peut-être réveiller certains réflexes qui sait ?
Ses réflexes à elle étaient bien là, elle était doucement sortie de sa torpeur pour retrouver cette motivation qui semblait suffisante pour la porter jusqu'au petit matin. Et danser. Les premières bribes de musique la faisaient déjà bouger.
- Je suis un homme de parole ; un homme d'honneur, aussi, parfois. J'ai quitté le boulot, j'ai mis une veste à l'heure où normalement je jure que je ne sors plus, j'ai même fait du vélo, sans y être forcé. Je te le dis : tu as bien plus d'une sorcière que d'une princesse Disney. Alors, voyons voir— j'ai le budget d'un SDF, la motivation d'un étudiant, une réputation à reconquérir, et une blonde à impressionner. Et juste pour la récompense de la tête que tu feras, je suis absolument certain de réussir tout ça. Ebba était là pour ça, le spectacle vaudrait le détour, elle en était certaine. Si il avait bien caché son jeu jusqu'à maintenant, Andrew allait devoir se dévoiler ce soir, elle n'aura pas pu rater ça. "Tu verras que tu remerciera la sorcière un jour. Ose me dire que tu ne te sent pas beaucoup mieux maintenant et ça ne peut aller quand s'améliorant je te l'assure. Mais je te préviens que je ne serais pas facilement impressionnable, je me suis préparée mentalement au spectacle d'un médecin débauché. Plus rien ne peut me faire peur je pense, tu vas pouvoir sortir le grand jeu." Elle lui sourit alors qu'il lui tendait son bras pour se lancer à l'intérieur. C'est parti.

eden