| Sujet: uho the world is small ⊱ Julian Mer 26 Sep - 23:14 | |
| Respirer, tranquillement. Un, deux, trois, sentez la relaxation qui s'empare de vous, lentement... Conneries. Je respire vite, je vis vite. Je cours partout pour faire plein de choses ; c'est dans ma nature depuis presque aussi longtemps que... toujours. Ma mère et moi n'avons pas beaucoup de points communs mais s'il en est au moins un c'est bien celui là. Vivre la vie à cent à l'heures pour ne pas perdre de temps. Etre ici sans emploi est déjà difficile à vivre ; alors passer une heure et demie dans une salle fermée, en jogging moulant, pour me mettre tailleur et travailler la cadence de ma respiration, c'est juste impossible. Arthur est celui qui m'a conseillée de venir ici. Va faire du yoga, qu'il a dit, avec son air de Monsieur je-sais-tout-parce-que-je-suis-canon. Ses cheveux dans les yeux et sa mine fatiguée en option, il m'a tendu la brochure. C'est reposant, tu verras, un plaisir pour le corps et l'esprit, et honnêtement, ça te fera du bien. Tu parles. Ca m'a fait autant de bien qu'un match de box.
Je sors de la salle, mon tapis enroulé sous le bras. A côté de moi, ce sont des femmes plus vieilles qui rangent leurs affaires et rejoignent leurs voitures. Des femmes qui font leurs courses dans un magasin bio, qui veulent perdre leurs kilos en trop en arrêtant de fumer, des femmes qui veulent vivre une vie saine et exempte de tout écart. Terminé le café, l'alcool, la cigarette, les positions originales au lit, l'amour après vingt deux heures, les sorties la semaine. Bonjour graines d'orge, sucette à la rose et autres conneries du genre qui rallongent dix ans à votre espérance de vie. L'ère yoga a commencé avec une intellectuelle qui voulait rouler les ménagères en pleine crise de la quarantaine, et je n'ai donc strictement rien à foutre là. Surtout que la seule chose dont je rêve en ce moment même est un café avec double dose d'expresso, histoire de m'électriser un peu l'organisme.
Aussitôt dit, aussitôt fait, et rapidement au volant de ma voiture, je fonce vers l'endroit de cette ville que je préfère - pour l'instant. Etre la française qui débarque n'a rien de franchement réjouissant, surtout quand on parle anglais avec un accent encore légèrement prononcé - personne n'est parfait - mais le fait que les gens connaissent déjà un peu mon frère et que j'ai la tête d'une gentille petite fille modèle de douze ans m'aide sans aucun doute à me fondre dans la masse au moins, si ce n'est parfois, par chance, les très bons jours, à me faire quelques connaissances. Hier, un petit vieux m'a fait la conversation au supermarché, et avant-hier, la boulangère voulait que je lui apprenne le français.
Bref, c'est avec un soulagement non dissimulé que je m'affale quelques secondes plus tard à la table du Morning Coffee, extirpant mon ordinateur de mon sac pour y faire quelques recherches. Je ne recherche pas d'emploi en particulier, mais en trouver un ne serait pas une mauvaise idée, ne serait-ce que dans l'optique de trouver un appartement où je pourrais vivre seule et laisser mon frère tranquille. Je commande un café crème et un de ces énormes donuts qui n'existent qu'aux Etats-Unis (eh, je viens de me taper une heure trente de yoga), et enfile mes lunettes pour pianoter sur le clavier. Je me perds à la fois dans mes recherches et dans mes pensées, oubliant presque où je me trouve. Quand je relève enfin les yeux, un peu lasse, mon café est froid et mon donut, terminé. Je me lève en abandonnant mes affaires quelques instants et me rend au comptoir directement pour demander un autre café que la serveuse s'empresse de me servir. J'attrape le gobelet et me dirige vers ma place mais me fige en plein milieu du petit café, dans un élan de surprise non volontaire. « Mais... » Je réhausse mes lunettes sur le haut de ma tête et plisse le front. Assis à une table non loin de là se trouve un homme dont le visage m'est vraiment très familier. J'ai une excellente mémoire visuelle, ce qui explique sans doute pourquoi je retrouve presque instantanément la raison de cette familiarité. Je laisse mes affaires dans un élan de confiance aveugle pour le genre humain et m'approche plutôt de sa table. Il semble concentré, occupé, mais le hasard est trop étrange pour que je laisse passer ça. « Julian ? » Ce type a été mon professeur d'anglais pendant cette université d'été à Oxford, au lycée. Des étudiants volontaires pour nous aider à progresser en langue. Ma mère m'avait envoyée là bas en me disant que c'était pour mon bien et... si je ne m'abuse, j'avais vraiment flirté avec ce prof là. « Est-ce que tu... Est-ce que vous vous souvenez de moi ? » Finalement, seules deux petites années nous séparent. Mais plus que la différence d'âge, c'est surtout la correction qui me pousse à le vouvoyer, et l'espace d'une minute, je me fige. Et si je m'étais trompée de personne ? « Les cours d'été à Oxford ? Il y a... fiou, des années maintenant ? » Je ris un peu et plaque ma main devant ma bouche. « Ca, alors, le monde est trop petit... »
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