Crash n'allait pas bien.

Micah ne savait pas pourquoi, comment, quand, ni qui. Mais il allait le découvrir. Il connaissait par le cœur le paquet de nerfs qui s'agitait en dévorant les tartelettes à la fraise qu'il venait de préparer.

Crash avait toqué à la porte. Micah avait à peine eut le temps d'ouvrir et de le saluer d'un « Hey Crash ! » que l'autre était déjà entré dans la maison. Parce que chez Micah c'était chez lui. Mi casa es su casa, un truc du genre. Même quand chez Micah, ça impliquait aussi chez Sebastian. Il avait juste oublié de le marquer en petits caractères dans le contrat de mariage.

Toujours est-il que Micah l'avait suivi direction la cuisine, et que maintenant ils étaient là. L'un à ranger son plan de travail, et l'autre à sacrifier des tartelettes à la fraise pour compenser – dieu sait ce qui avait bien pu lui arriver.

Dans la tête de l'adolescent, c'était la foire aux questions. Il avait beau turbiner 15 possibilités à la seconde, il ne voyait pas ce qui pouvait clocher dans la vie de son meilleur ami. Crash n'avait pas de copine qui aurait pu le larguer. Il n'était pas traumatisé par la proximité des mygales. Pas d'études stressantes, ou de job qui lui mettait la pression. Son père était... original. Mais super cool 99% du temps ! Et mamie Rita faisait partie de ces vieilles qui en ont encore tellement sous le capot que Micah attendait le jour fatidique où elle choperait Sebastian avec leurs filles, et lui donnerait ses conseils d'éducation façon mamie mexicaine option Rambo.

Avec leur filles.

La nouvelle était toute récente. Micah venait de l'apprendre le matin même. L'échographie traînait encore sur la table basse du salon. Et si Sebastian n'était pas avec lui, c'était uniquement parce qu'un employé l'avait appelé en catastrophe à cause d'une inspection sanitaire surprise au Morning Coffee. Micah n'était pas peu fier d'avoir laissé une trace si vivace de son premier passage à l'inspecteur de l'hygiène en février dernier.

En attendant il se retrouvait tout seul. Sebastian avait attrapé sa veste et filé au café. Et Micah... et bien Micah s'était collé aux fourneaux. Cuisiner l'aidait à disperser le champignon atomique dans sa tête. Il se rappelait sa mère, et s’imaginait comment elle aurait prit la nouvelle. Est-ce qu'elle aurait aimé avoir des jumeaux ? Deux Sam ? Deux Micah ? Comment se serait porté le monde avec deux Micah ? Il aurait pu coller ses conneries sur le dos de son jumeau. Et Sebastian. Est-ce qu'il les aurait confondu ? Est-ce qu'il aurait embrassé le mauvais frère ? Ewww –

Nom de dieu. Des jumelles.

Micah ne paniquait pas – il était juste sous le choc. S'écartant de l'évier, il secoua la tête pour chasser ses pensées et se concentrer sur son ami. Il reporta les cercles bruns de ses yeux sur Crash, qui s'emparait d'une énième pâtisserie.

« Hey ! » s'écria t-il en lui balançant in extremis son éponge dans la tronche. « Laisses-en au moins deux pour Sam et Sebastian ! » Il rejoignit le tube digestif sur pattes qui lui servait de meilleur ami et sépara précautionneusement deux tartelettes des autres. « J'imagine que t'es pas juste venu manger des gâteaux à l’œil. » dit-il  en posant deux billes curieuses sur Crash qui s'essuyait la figure avec sa manche. Il lui tendit une serviette et ses doigts se mirent à tapoter nerveusement le plan de travail.

Et si il sait pour les enfants ? persifla une voix affolée dans sa tête. Il aurait du lui dire dès qu'ils avaient été à la clinique. Mais Sebastian voulait attendre ! Micah était un horrible meilleur ami. Horrible. Mais il ne pouvait non plus trahir son mari ! Sebastian et sa paranoïa avaient domestiqué sa maladresse et son incapacité à garder un secret. Mais ça faisait trois mois maintenant, et le – les – les bébés étaient en parfaite santé. Tellement parfaite que Crash était certainement au courant ! Ce n'est pas comme si ils avaient fait toutes les démarches dans un quelconque anonymat. Il suffisait que Crash croise Elena et lui fasse la conversation. Crash faisait toujours la conversation. A tout ce qui bougeait. Bon sang, il parlait même à la console quand ils jouaient aux jeux vidéos et accusait la manette quand Micah lui collait la raclée du siècle !

Oh mon dieu. Il savait !

« Jesuisdésoléjauraisduteledire ! » lâcha t-il tout d'une traite. Micah ouvrit de grand yeux en entendant sa connerie résonner à ses oreilles. Oh merde, oh merde ! Il avait paniqué ! Son filtre cerveau-bouche était HS. Vite ! Rattraper le coup ! « Que LES FRAISES étaient périmées ! Enfin – non, pas périmées, juste – juste. Elles étaient justes. T'auras ptêtre une légère diarrhée. » Oh mon dieu. Maintenant il allait croire qu'il l'empoisonnait en plus de lui cacher sa future paternité ! Double paternité ! Micah respira un grand coup et afficha sa plus belle grimace crispée censée lui donner un air gêné. Avec la main dans les cheveux et le raclement de gorge. Il en faisait trop. Oh mon dieu – stop. « Et sinon toi ? Ça va ? »

Ça lui était tombé dessus. Comme on peut se prendre un piano sur la figure en sortant de chez le marchand de café, sauf que lui ne s'était pas pris pour George Cloone en tentant de marchander avec dieux. Non il c'était contenté de se prendre cette bonne baffe dans la figure et était rentré chez lui, le regard vide et sans vraiment comprendre. Crash avait une mère – C'était logique au fond, il s'en était un peu douté. Il l'avait appris en cours d'éducation sexuelle, il fallait un homme et une femme pour faire un enfant – mais dans sa caboche les choses c'étaient goupillées de façon à oublier qu'il était sorti d'un vagin et non pas de l'esprit tordu de son père et d'un peu d'agent chimique X telle une Super Nana.

C'était le première fois qu'il se brouillait avec son père, la première fois aussi qu'ils avaient osé aborder ce sujet sensible et la finalité avait été plutôt brutale, l'envoyant directement à la case « aller dormir chez mamie Rita » ne passez pas par la case réconciliation ne touchez pas dix mille euro.
Il n'avait pas oublié d’emporter avec lui Gusgus son fidèle compagnon et Papuche son ourson en peluche qui ne l'avait jamais quitté. Puis une fois ses affaires déposées dans le hall de sa grand-mère il était parti sans dire un mot et sans explication. Ses jambes l'avaient mené directement chez Micah, parce que c'était une évidence.  Peu importe que Micah soit marié aujourd'hui il n'en restait pas moins son meilleur ami.

Quand la porte c'était ouverte sur son meilleur ami Crash en avait oublié le discours qu'il venait consciencieusement de préparer pour expliquer à son meilleur ami ce qui l’amenait chez lui et c'était contenté de se réfugier dans la cuisine pour goûter aux dernières pâtisseries de Micah. Un délice dont il n'était pas prêt de se priver.  

« Hey ! Laisses-en au moins deux pour Sam et Sebastian ! » Levant ses yeux de chien battu sur son meilleur ami il accepta sans brocher qu'il en mette deux de côté pour les autres habitants de cette grande maison mais ça ne l’empêcha pas d'attraper une autre tartelette pour s'en enfiler une grosse bouchée. « C'est fffachement bon » Il avait parlé la bouche pleine et ce sans aucune gêne.  

Mâcher de la tartelette était le meilleur moyen pour échauffer sa langue avant qu'elle ne puisse enfin expliquer à Micah ce qu'il était venu faire chez lui en plein milieu de l'après midi alors qu'il était censé être au travail – travail qu'il avait d’ailleurs largué dans sa lancé.  « J'imagine que t'es pas juste venu manger des gâteaux à l’œil. » Bien sûre il s'en était rendu compte. Micah n'était pas un idiot et il connaissait Crash mieux que personne. « Hem – Je vois pas pourquoi tu dis ça ! » N'avait-il pas le droit de jouir simplement de la présence de Micah ? Bon c'était effectivement pas la seule raison de sa venu mais au vu de la tête pensive que faisait son ami il était plus au moins persuadé de ne pas être le seul à avoir quelque chose à dire.

Quelques secondes de silence suffirent à Micah pour cracher le début d'une révélation. « Jesuisdésoléjauraisduteledire ! » Quoi ? Il le savait ? Il fallut quelques secondes à Crash pour comprendre que Micah ne parlait sans aucun doute pas de la même chose que ce qui trottait dans sa tête. Comment aurait-il pu  savoir de toute façon? A moins que lui aussi soit l'un de ses probablement innombrable demi-frères et soeurs  « Que LES FRAISES étaient périmées ! » « Quoi ? »  « Enfin – non, pas périmées, juste – juste. Elles étaient justes. T'auras ptêtre une légère diarrhée. »   jetant un regard à sa tartelette puis à son ami il grimaça durant une secondes et demi avant de reprendre une bouchée de sa pâtisserie. Foutu pour foutu

N'étant pas suspicieux pour un sous, il se suffit de cette révélation, sans penser une seconde qu'il y avait quelques chose de bien plus gros dessous. Bon autant d'agitation pour des fraises à moitié périmée lui semblait un peu exagéré, mais cette nouvelle passion lui tenait apparemment à cœur alors pourquoi pas ? « Une petite diarrhée me tuera pas. » C'était charmant comme sujet de conversation. « Et sinon toi ? Ça va ? » Son tours de grimacer puis de se replonger dans sa tartelette avec passion. Tient c'est un boulot ça ? Dégustateur de tartelette ? Faudrait que je me renseigne.  C'était tellement plus simple de concentrer son esprit sur autre chose que ce qui l'avait amené ici. « Oui oui – OUI très bien » Ça sonnait faux – très faux. Bon dieu, Micah n'allait pas le croire une seconde, il fallait qu'il lui dise. « Et toi ? » Il laissa à peine une demi seconde à son ami, qui n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il reprenait en parlant bien fort. « Ma mère est une pute » Merde c'était pas censé sortir comme ça Il ouvrit des grands yeux ronds qui croisèrent ceux de Micah avant de se rendre compte de ce qu'il venait de dire. « Enfin NON ! Enfin.. si » confus cette histoire Il prit une grande respiration essayant de remettre ses idées en place. Par où commencer ? – Tient pourquoi pas par le début ?

« J'ai reçu la visite de ma sœur hier – DEMI sœur – Ha oui j'ai une demi sœur au fait. J'ai même essayé de la draguer, bon ça a pas marché mais t'imagine ? Et si ça avait marché ? Je sais pas combien d'enfant ma mère a procrée. Peut-être bien que j'ai des frères et sœurs un peu partout dans la monde, t'imagine !  Je veux pas faire des enfants déformés avant de me rendre compte que je suis marié à ma sœur. Non – c'est super dégeu !» Il paniquait, il était clairement entrain de paniquer Calmes toi. Inspiration. Expiration. « Mon père a couché avec une prostituée » Ses pensées partaient dans tous les sens. Totalement incapable de se focaliser sur un des éléments qui lui avaient été apportés ses 24 dernières heures.
Mais pour Crash le pire restait ce constat. Son père qui lui avait toujours parlé de respect des femmes – son père qu'il n'avait jamais vu avec une femme d’ailleurs – l'avait engendré avec une vulgaire prostituée. Il avait payé pour ça... « Je peux en prendre une autre ? » Il désigna les tartelettes de la tête, comme s'il avait besoin de l'accord de son ami pour en prendre une autre – alors qu'il s'en était passé pour les dix premières.

« Ma mère est une pute »

En un quart de seconde, Micah passa du soulagement (bénit soit Crash et son âme soyeuse en coton qui ne soupçonnait rien de son ENORME mensonge par omission) à l'incompréhension totale et absolue.

Depuis quand Crash. Son Crash. Traitait sa mère de pute ? Pire ! Depuis quand Crash avait une mère ?

Bien-sûr il avait une mère. Mais c'était une rumeur. Un mythe. La chose dont tout le monde parle mais que personne n'a jamais vu. Nessie.

Quand Micah avait compris que quelque chose n'allait pas, il avait soupçonné quelque chose de grave. A l'évidence, il n'avait pas soupçonné assez fort. Assez loin. Alors il ne dit rien et encaissa l'information sans savoir quoi faire à part attendre que Crash s'explique.

« J'ai reçu la visite de ma sœur hier » Et maintenant il avait une sœur. Génial. « – DEMI sœur – Ha oui j'ai une demi sœur au fait. » Est-ce que ça rendait la chose à moitié moins inconcevable et dingue ? « J'ai même essayé de la draguer, bon ça a pas marché mais t'imagine ? Et si ça avait marché ? Je sais pas combien d'enfant ma mère a procrée. Peut-être bien que j'ai des frères et sœurs un peu partout dans la monde, t'imagine !  Je veux pas faire des enfants déformés avant de me rendre compte que je suis marié à ma sœur. Non – c'est super dégeu !»

Crash était dans un état de nerfs tout nouveau. Il paniquait. Et ça donnait envie à Micah de paniquer avec lui. Il n'aimait voir son meilleur ami comme ça. Il n'aimait pas le voir perdu. Il n'aimait pas la palette d'émotions négatives qui défilaient les unes après les autres dans chacune de ses phrases. Crash était un repère. Il était ce havre d'insouciance et de complicité qui rappelait à Micah tout ce qu'il était avant l'accident.

Automatiquement, Micah dirigea sa main vers la sienne. L'effleura juste. Pour sauver les meubles. Pour lui faire savoir qu'il était là, même s'il n'était pas certain que ça veuille dire quelque chose. Et un peu pour se rassurer lui aussi.

« Mon père a couché avec une prostituée » conclut Crash comme si ça expliquait tout. Micah plissa les yeux. Il pouvait sentir l'abysse de déception contenu dans cette seule phrase.

Il y eut un silence. Puis Crash reporta son attention sur les tartelettes avec cet air de chiot battu qu'il avait dû piquer à Sebastian. Sérieusement, il ne lui manquait qu'une paire d'oreille pendantes pour compléter le tableau.

Micah poussa le plateau vers lui, dans une invitation silencieuse à se resservir. « Merde alors... » Ça résumait bien la pile d'informations bordélique que Crash lui avait balancé dans la tronche. Il jeta un coup d’œil dans la pièce, cherchant la faille dimensionnelle par laquelle il avait du passer entre le couloir et la cuisine. Mais non. Il n'y avait rien. Seulement Crash, Nessie et une demi-sœur. Nom de dieu, Crash avait une sœur.

« J'arrive pas à croire que t'as une sœur. » réalisa t-il à haute voix. « Elle est comment ? J'veux dire – si tu l'as draguée, elle doit être plutôt cool et mignonne. » Il grimaça en imaginant l'ampleur du traumatisme. Crash s'était pris un râteau par sa sœur. Et... nope. Il n'allait pas aller par là.  L'inceste (ok, demi-inceste) n'était définitivement pas son sujet de prédilection. « Quand même, c'est bizarre que ta mère t'ai eu juste... comme ça avec ton père. Enfin, c'est bizarre de pas se protéger. » Et les capotes ? Et la pilule dans tout ça ? « On est pas au Moyen-Âge même, si ta mère est une... prostituée. » Ça sonnait un peu trop insulte à son goût mais Micah ne voyait pas tellement comment enrober la réalité de sucre pour mieux la faire passer. A part avec des tartelettes. « Elle a pas pu semer des tas de petits Crash partout dans l'Oregon. Enfin, c'est pas facile d'exercer ce métier si on a constamment l'air d'une baleine. »

Il attrapa une tartelette et mâchonna pensivement dedans pour faire passer le tout. « Et ton père, il en dit quoi ? » tenta t-il après un moment. Micah se doutait qu'il avançait en terrain miné. En 19 ans, le père de Crash n'avait pas daigné renseigner son fils, ou qui que ce soit d'autre sur sa mère. Micah se souvenait avoir demandé à sa propre mère où était celle de Crash. Est-ce qu'elle l'avait connue ? Est-ce qu'Igniasio Ivorra avait un jour confié le secret de Nessie à Mary Summers ?

Micah était petit et il n'avait pas bien compris ce que sa mère lui avait répondu à l'époque. C'était des discours de grands trop compliqués pour lui. On avait une mère oùu on en avait pas. Et ce qui était ressorti du sourire de Mary, et de ses mots pleins de cette tendresse que seule une mère pouvait offrir, c'est que Crash n'en avait pas. Micah avait eu de la peine pour son meilleur ami. Alors il avait partagé sa mère avec lui, même si il savait bien que ce n'était pas pareil. Et puis, il avait compris avec le temps : ce qu'on ne connait pas ne nous manque pas.

Crash ne souffrait pas de ne pas avoir de mère. Et juste en se pointant dans sa vie comme une saleté de fleur empoisonnée, sa demi-soeur avait du balancer l'équivalent d'une salve atomique sur un barrage solidement mis en place depuis presque 20 ans.

« Tu sais, j'peux les détester par solidarité. » offrit Micah en posant ses fesses sur un tabouret. « Et si tu me fais un portrait robot pas trop nul de ta sœur, j'peux l'empêcher de t'approcher. J'serais super en garde du corps, et je peux emmener Sebastian ! » Il sourit malicieusement en agitant sa tartelette dans les airs. « Il refusera pas si je lui demande, et si les yeux de gangsters ça te fait flipper, ça aura forcément le même effet sur elle. Ou le même demi effet. »