« C'est parfait, ne bouge plus. » L'oeil positionné face au viseur, je cliquais sur le déclencheur, immortalisant cette fillette pas plus haute que trois pommes et son bretzel, qu'elle venait tout juste d'acheter au stand d'en face. Je la remerciais gentiment pour voir poser et la regarder s'éloigner et rejoindre les autres enfants avec qui elle jouait, en courant. J'avais passé ma journée, assis sur mon banc, à photographier tout ce qui passait dans mon champ de vision, de ce chien chassant les pigeons à ce vieux couple main dans la main pendant sa promenade. Le parc se vidait face à ce soleil couchant et moi, je restais, une cigarette coincée entre mes lèvres, toujours à l'affût de la photographie qui changerait tout. Ce qu'il y avait de bien avec mon métier, c'était que ce n'était pas un devoir. Je n'exerçais pas la photographie pour vivre, j'exerçais la photographie comme si c'était la raison de ma présence sur Terre. Ca pouvait sembler futile qu'appuyer sur un bouton soit considéré comme un métier et rémunéré mais il ne s'agissait pas seulement de ça. C'était plus subtile et difficile à définir. Du moins pour moi. Je n'ai jamais été l'enfant modèle, l'enfant dont on est fier. A vrai dire, j'ai toujours été un peu marginal, rebelle et à part. Certains écrivent des nouvelles, des poèmes, d'autres chantent, moi je photographie. A chacun son exutoire. A ce jour, je n'ai jamais réussi à trouver autre chose qui me permettrait d'autant m'exprimer qu'une bonne photographie, toujours à la recherche de la perfection, de la représentation exacte et juste de ce que je ressens, de l'instantané et de la vérité. Les personnes qui voient mon travail disent souvent que je suis un artiste, face à ma minutie et mon rapport à la réalité. C'est sans aucun doute le meilleur compliment qu'on puisse me faire, compliment que je voudrais claquer au visage de toutes les personnes qui m'ont sous estimé ou trop facilement condamné.


J'errais dans le parc, assez satisfait de la série de photo que j'avais fait. Pour y avoir passer des journées entières, je connaissais ce parc dans ses moindres recoins. De l'aire de jeux où j'avais multiplié les parties de cache-cache, obligeant ma jeune soeur à être le compteur et à nous chercher pendant des heures, à la grotte où on venait se réfugier après les cours pour fumer de l'herbe sans se faire chopper. J'avais énormément de souvenirs dans ce vieux parc, plus que je n'en avais autre part dans Town Square. Les gens partaient, rentraient chez eux, et je faisais parti des quelques fidèles qui trainaient encore par là. Je décidais d'aller faire un tour près du lac, pour faire mes dernières photos et pouvoir à mon tour rentrer chez moi. Les horizons étaient vidés de leur population et je sortais mon appareil pour photographier la nature. L'oeil braqué sur le viseur, je remarquais une jeune femme, blonde, assise dans l'herbe à quelques mètres du lac, à quelques mètres de moi. Elle était seule et sa solitude m'intriguait. Je zoomais sur elle, sur son visage. Je connaissais ses traits, je connaissais cette fille. Je rangeais mon appareil et m'approchais rapidement d'elle. « Lennon ? »

La journée était belle, mon moral l’était moins. J’avais entrepris un jogging, afin de ne pas rester cloitré dans mon appartement. Je courrais donc ci et là dans le parc, comme une âme en peine. Une âme qui essayait de combler sa tristesse avec le bonheur des autres. Je m’appliquais à ne pas penser à ce qui me tourmentait et y arrivait plutôt bien. A la place, je regardais tendrement des enfants se cacher derrière les arbres, comme un instinct maternel qui se réveillait et que je n’avais jamais connu jusque là. Je me questionnais sur cette apparition inespérée avant de comprendre que celui-ci était certainement dû à un profond manque que j’essayais de combler. Noam. Immédiatement, nerveuse, je m’arrêtais de courrir et m’assis sur un banc. Je sortis une cigarette de son étui et la porta à mes lèvres avant de l’allumer. Oublier, c’est tout ce que j’avais souhaité réussir à faire en venant ici. Le souffle court, j’attendais de reprendre ma respiration avant de retirer sur la clope. Fumer pendant un jogging… j’imaginais sans grand mal Gab en train de me faire la moral sur les méfaits du tabac sur la santé. Sacré Gab. Un sourire apparut sur mes lèvres, en repensant à mon frère. Il avait beau ne plus être là depuis deux ans, je l’imaginais commenter chaque instant de ma vie. Je le connaissais par cœur après tout. Le seul pan de ma vie que j’essayais de garder loin de mes pensées de Gabriel était ma relation avec Noam. Enfin, ce qu’il en restait. Car les seuls mots qui me venaient quand j’imaginais Gabriel commenté étaient : Je te l’avais bien dis, t’aurais du m’écouter. Je soupirais, la tristesse m’envahissait, j’étais complètement paumée sans Gab et maintenant que c’était devenue si compliqué avec Noam je n’avais qu’une envie. Fuir. Mais cette solution était exclue pour de multiple raisons. Tout ce qu’il me restait, c’était l’oubli. Je me levais tranquillement du banc et marchais vers le lac, sous le soleil il s’était revêtu de mille éclats. Je tirais sur ma cigarette avant de m’assoir au bord de l’étendue d’eau, espérant y trouver un certain réconfort.

« Lennon ? » Une voix me sortit de ma rêverie, je fis tomber la cendre de ma cigarette avant de me retourner vers la personne qui m’avait abordée. Ma bouche resta entrouverte quelques secondes tandis que je reconnaissais Hermès. Un sourire se fraya sur mon visage tandis que les souvenirs me revenaient en masse. De notre relation d’un mois, à nos activités corporelles mémorables, en passant par notre ancienne addiction à l’herbe, nous avions vécus pas mal de chose ensemble. « Hermès. Tu n’as pas changé, enfin… si bien sûr que si. » Je partie d’un grand éclat de rire ne sachant pas vraiment quoi dire, il était devenu plus sexy que dans mon souvenir néanmoins je préférais une approche plus discrète. « Enfin tu t’es amélioré. » Je tapotais l’herbe pour qu’il s’asseye à mes côtés. « Ca fait pas mal d’années que je ne t’ai pas vu. Tu n’as toujours pas abandonné la photo à ce que je vois. » Je remerciais le ciel de m’avoir envoyé Hermès afin d’oublier pendant quelques temps, ce qui me ruinait de l’intérieur. Je tirais sur ma cigarette, guettant la réponse du jeune homme que j’avais si bien connu autre fois.

J'avais quand même du la regarder pendant quelques secondes pour la reconnaitre. La dernière fois que j'avais vu Lennon, c'était quoi, il y 5 voire 6 ans. En général, quand on est au lycée, on est comme dans une sphère où tout le monde se côtoie parce qu'on fréquente les mêmes personnes, les mêmes endroits, parce qu'on a les mêmes centres d'intérêts. Puis, on arrive à la case terminale et tout le monde se sépare. La majorité de nos amis deviennent des connaissances et nos exs ne deviennent plus qu'un souvenir à ajouter à la liste du tableau de chasse. Je connaissais Lennon depuis le lycée. Je la connaissais très bien même. Ca avait commencé par plusieurs cours en commun, on avait sympathisé, on avait fini par sortir ensemble. Certainement l'une de mes meilleures relations. C'était une relation sans danger si on pouvait dire ça comme ça. Lennon n'était pas réellement le genre de fille à s'attacher et c'était ce que j'avais toujours cherché. Puis, il y avait les autres plus. On avait tous deux des personnalités similaires, les mêmes besoins, les mêmes envies, la même addiction pour l'herbe et parfois même plus. En fait, Lennon, c'était le bon pote, et encore mieux qu'un pote, je pouvais m'envoyer en l'air avec. Ca avait duré seulement - c'était déjà énormément pour moi - un mois entre nous mais parfois, on se revoyait de temps en temps sans grande explication parce que ce n'était pas nécessaire entre nous. Mais le lycée, c'était du passé et on avait tous plus ou moins pris des chemins différents sans vraiment savoir vers où l'autre allait. Je n'avais pas eu de nouvelles de Lennon depuis cette période. A vrai dire, je ne savais même pas si elle vivait encore à Town Square et la revoir là, assise face à moi, dans ce même parc où on venait à deux, en train de se griller une cigarette, sonnait comme le bon vieux temps pour moi.

Je l'observais alors qu'elle faisait de même, affirmant que j'avais changé. Un éclat de rire que j'avais entendu maintes fois et je traduisais la petite gêne dans le ton de sa voix. Elle était bel et bien présente et même inévitable après toutes ces années sans nouvelles. « Enfin tu t’es amélioré. » J'arquais un sourcil et m'asseyais près de mon ancienne amante. « Je dois le prendre bien ou mal ? Attention à ce que tu vas répondre. » Je disais cela en rigolant et en lui tapotant l'épaule. C'était quand même étrange d'être là, avec elle. Ca donnait l'impression d'un énorme bond dans le passé sauf que tout avait certainement changé. Je veux dire, les années étaient passées, Lennon avait probablement mûri autant que moi j'avais mûri. Je n'étais pas en état d'affirmer s'il restait quelque chose de notre relation aujourd'hui, une relation d'adolescents fuyant toute forme d'engagement et de responsabilité. Mine de rien, j'étais toujours ce mec. « Ca fait pas mal d’années que je ne t’ai pas vu. Tu n’as toujours pas abandonné la photo à ce que je vois. » « Abandonner la photo ? Cet objet est plus fidèle que n'importe quelle femme. » Je montrais mon appareil photo d'un petit geste de la main. Ma plus grande histoire d'amour et ma fierté. Je me permettais cette petite raillerie par rapport au sexe féminin car je savais que Lennon ne manquerait pas d'y répondre. J'allumais une cigarette et la regardait de plus près. Elle avait aussi pas mal changé. Beaucoup plus jolie et beaucoup plus femme que la dernière fois que je l'avais vu. Ses joues avaient perdu de leur rondeur, ses cheveux étaient plus longs et ondulés. Elle était mignonne, même très mignonne. « Alors, comment ça va depuis le temps ? Je savais même pas que tu étais encore en ville. Tu sais, les gens finissent par se barrer. » De la voir ici m'intriguait. Je me demandais à quoi ressemblait sa vie désormais, dans quoi elle travaillait, si elle avait un copain ou était même mariée. Elle me regardait, de ses yeux bleus, en souriant. Son sourire me faisait toujours le même effet. J'expirais la fumée que je venais d'inhaler et disait en lui rendant son sourire : « T'es mignonne, ça me fait plaisir de te voir. »

« Je dois le prendre bien ou mal ? Attention à ce que tu vas répondre. »« Bien évidemment ! » Son rire vint se joindre au mien et sa main vint se poser sur mon épaule. Ce simple contact suffit à me faire sourire, chose que je n’étais plus très habituée à faire depuis ces quelques jours. Et me fit revenir quelques souvenirs, le contact de sa peau contre la mienne, nos rencontres agréables et sans soucis. La vie n’était pas si compliquée à cette époque. Notre relation en avait étonné plus d’un, tout le monde avait parié que notre couple ne tiendrait pas une semaine. Deux attardés des sentiments ensembles, c’était impossible. Et pourtant, au lieu de nous séparer ça nous avait rapprochés. Nous n’étions évidemment pas un couple normale, on n’avait pas ce besoin d’être 24h sur 24 ensemble, on se retrouvait pour un joint ou pour de la simple baise. Et il faut dire que sur ce point nous nous entendions bien, voir même très bien. Pas de sentiments entre nous, une simple amitié que nous avions transformée en couple par simple commodité. Puis ça avait cassé parce qu’à vrai dire, nous n’aimions pas trop l’exclusivité et notre couple nous cassait d’autres coups. Et, personnellement je répugnais à tromper Hermès j’étais une femme de parole quoi qu’on puisse en penser. Pendant un mois, je n’avais connu que lui jusqu’à ce qu’on se libère mutuellement de nos engagements. C’est pour ça que j'accueillie la réponse à ma question sur la photographie, avec une moue faussement vexée. « Abandonner la photo ? Cet objet est plus fidèle que n'importe quelle femme. » « Excepté moi, évidemment. En même temps, je ne suis pas sûr que tu donnes aux femmes des raisons de te rester fidèle » dis-je avec un sourire complice. « Si tu les trompe, il serait injuste qu’elles ne te rendent pas la pareil. » Je arquais un sourcil, curieuse de savoir ce qu’était devenu le Hermès que je connaissais. « A moins que tu ne sois devenu le mari parfait …»

« Alors, comment ça va depuis le temps ? Je savais même pas que tu étais encore en ville. Tu sais, les gens finissent par se barrer. » « Je suis revenue il y a environ deux semaines. Mon frère est décédé dans un accident de voiture il y a deux ans, je ne sais pas si tu te souviens de Gabriel, enfin. Il y a six mois j’ai eu envie de partir pour oublier tout ça, et à moi la Louisiane. » Mes yeux s’étaient voilés tandis que je racontais la triste histoire à Hermès, il avait dû apercevoir Gab au lycée, voir même à la maison, je ne savais plus très bien à vrai dire. « Mais sinon à part cette brève escapade, je ne suis pas partie. Faut croire que Town Square ne veut pas se débarrasser de moi ! » Je riais de bon cœur avant d’inspirer la fumée de ma cigarette. « T'es mignonne, ça me fait plaisir de te voir. » Je le regardais tirer sur sa clope, ses lèvres me faisaient toujours envie c’était bon à savoir, ou pas ça dépendait de la façon dont Hermès avait évoluée. Je n’avais pas besoin d’autres soucis sentimentaux pour le moment. « Tu n’es pas mal non plus, il faut le dire ! » Je lui adressais un sourire, tentant de le séduire sans vraiment m’en apercevoir. Il faut croire que c’était une sorte de seconde nature avec lui. « Allez dis-moi, il y a-t-il une madame Stephansen quelque part dans cette ville ? Ou es-tu resté un coincé des sentiments comme moi ? » A vrai dire, je ne l’étais plus vraiment mais vu comment c’était passé ma dernière rencontre avec Noam, j’espérais que cette peur de s’engager réapparaitrait bien vite, comme si c’était une protection contre la souffrance. C’était vital. « Non sans rire, si tu t’es rangé c'est une grosse perte pour l’humanité… » je marquais une pause avant de reprendre avec un sourire en coin « et pour moi aussi, je dois l’avouer. ». C’est comme si j’avais besoin de savoir que je l’attirais encore, c’était perturbant mais c’était agréable. Du moment que j’allais retrouver l’insouciance du lycée, j’étais prête à tout.

Je n'avais jamais été ce genre de mec, vous savez, rangé. J'étais littéralement né défaillant sur la question à vrai dire. La fidélité, l'engagement et tous ces trucs, avec moi, ça faisait un million. Et ça, c'était notre principal point commun à Lennon et moi. Ce que j'aimais dans notre relation, c'était le fait qu'elle ne soit pas constamment sur mon dos, à vouloir savoir ce que je faisais, avec qui je le faisais. C'était une pote, une super bonne pote parce que j'avais le droit de coucher avec quand je le voulais. Si j'avais bien appris une chose sur les femmes, c'était qu'elles étaient sournoises. Au début, j'avais eu du mal à croire que Lennon pourrait accepter par exemple que je drague une autre ouvertement devant elle ou que je puisse repartir avec une autre fille qu'elle après une soirée même si elle revendiquait qu'elle ne voulait rien de sérieux et qu'elle désirait juste s'amuser. Vous savez, toutes les filles disent ça au début, ensuite elles deviennent sentimentales, elles vous répètent que vous pouvez faire ce que vous voulez mais en fait elles pensent l'inverse donc elles finissent par pleurer en sanglotant que c'est votre faute parce que vous n'avez pas su sentir que leurs paroles étaient fausses. Bien trop de drame. Du moins pour moi. « Excepté moi, évidemment. En même temps, je ne suis pas sûr que tu donnes aux femmes des raisons de te rester fidèle » « Excepté toi, en effet et ce n'est pas vrai. » De toutes façons, les filles savaient à quoi s'attendre avec moi. J'étais loin d'être le type de mec à promettre la lune alors que mes actes finiraient par égaler ceux du plus beau des salauds. Pour ma légitime défense, je n'avais aucun problème avec la fidélité. Je savais être fidèle. Je n'avais aucun problème avec l'amour non plus. Seulement, je trouvais absurde d'être amoureux d'une seule femme avec que je pouvais être amoureux de toutes. Néanmoins, je préférais ma liberté. La dernière fille à qui j'étais resté fidèle s'était avérée être sournoise et manipulatrice et si j'avais bien appris une chose, c'était qu'on ne pouvait pas faire confiance aux femmes. « A moins que tu ne sois devenu le mari parfait …» Je souris, amusé par sa réflexion. Moi, marié et moi, parfait. Les deux mots clochaient dans cette phrase. « Je pensais qu'au moins toi, tu me connaissais mieux que ça. »

Les années nous ayant séparées, je n'avais aucune idée de ce qu'était devenue Lennon. Mis à part avoir gardé plus ou moins le même caractère, je ne savais rien sur sa vie, je ne savais pas si elle avait quelqu'un ne même ce qu'elle faisait aujourd'hui. C'était ce sur quoi j'essayais de me renseigner. « Je suis revenue il y a environ deux semaines. Mon frère est décédé dans un accident de voiture il y a deux ans, je ne sais pas si tu te souviens de Gabriel, enfin. Il y a six mois j’ai eu envie de partir pour oublier tout ça, et à moi la Louisiane. » Je la regardais, croyant au début qu'elle me faisait une blague, de part son temps calme et sa facilité à en parler puis je réalisais qu'elle était sérieuse. Je me souvenais de Gabriel, on s'était souvent croisé à des soirées puis on fréquentait le même lycée. J'étais vraiment triste pour elle. Lennon, c'était le genre de fille à qui on voudrait jamais qu'il arrive ce genre de choses tout simplement parce qu'elle ne le mérite pas. J'essayais de me mettre à sa place et si j'avais perdu Magda, j'aurai probablement pété le plus gros câble de toute ma vie. « Je… Excuse moi, je savais pas. Je suis vraiment désolée, Lennon. Je sais que vous étiez proches. » Puis, elle continuait à sourire et à rire parce que c'était typiquement son caractère. Une des personnes les plus courageuses que je connaisse. Je lui rendais son sourire et on se regardait longuement. Finalement, malgré les années, rien n'avait changé. J'avais toujours ce désir de flirter avec Lennon. Je ne parlais pas d'ambiguité entre nous car ce n'était pas le terme adéquat. Tout était simple et défini, on se plaisait physiquement, même mentalement, en tant qu'ami et il n'y avait rien de compliqué. Absolument rien. « Allez dis-moi, il y a-t-il une madame Stephansen quelque part dans cette ville ? Ou es-tu resté un coincé des sentiments comme moi ? » « La seule madame Stephansen dans la ville, c'est ma mère. » Je rigolais en arquant un sourcil. S'il y avait bien quelque chose qui n'avait pas changé, c'était moi. J'étais né ainsi et je mourrais probablement avec le même caractère. « Et puis, faut croire qu'on change pas une équipe qui gagne. » Je tirais sur ma cigarette en la regardant, faisant référence à nous deux. A vrai dire, je ne la regardais pas, je la bouffais des yeux, tout en repensant à ce qu'on avait pu vivre, à cette relation incomprise pour la plupart des gens qu'on avait pu partager. « Non sans rire, si tu t’es rangé c'est une grosse perte pour l’humanité… » « Ou peut être l'inverse. Qui sait ? » « et pour moi aussi, je dois l’avouer. » Un sourire en coin s'était formé au creux de ses lèvres. Elle me cherchait, je le sentais. Joueuse. Elle avait toujours ce même regard qu'elle arborait déjà adolescente. Moi, ça me plaisait. Mieux que ça, ça me détendait. J'éteignais ma cigarette et balançais le mégot un peu plus loin, avant de me tourner vers elle, un petit sourire aux lèvres. « Arrête, tu vas te brûler. Tu sais très bien comment ça finit avec moi. »

« Je pensais qu'au moins toi, tu me connaissais mieux que ça. » Un large sourire s’empara de mon visage tandis que je comprenais qu’Hermès n’avait pas changé pour ma plus grande joie. J’espérais qu’il puisse m’aider à oublier Noam et toute cette histoire si compliquée, la simplicité c’est tout ce que je voulais. Je lui parlais de Gabriel, raconter ce passage de ma vie réveillait l’insupportable douleur de la perte de mon frère, douleur que j’essayais de cacher tant bien que mal. Je n’étais pas vraiment du genre à montrer mes sentiments généralement. « Je… Excuse moi, je savais pas. Je suis vraiment désolée, Lennon. Je sais que vous étiez proches. » Hermès afficha un air désolé et je lui souriais doucement pour le rassurer. Comment aurait-il pu le savoir après tout. Il avait sa vie, j’avais eu la mienne, pas de contact, pas de nouvelles, ce n’était donc pas étonnant qu’il soit resté dans l’ignorance. « Ne t’inquiète pas, tu ne pouvais pas savoir. » J’essayais de ne pas m’étendre plus sur le sujet, d’oublier la douleur et de parler d’autre chose. J’arborais donc de nouveau mon petit sourire, m’intéressant à la vie d’Hermès, envieuse d’en découvrir plus après ces longues années. « Allez dis-moi, il y a-t-il une madame Stephansen quelque part dans cette ville ? Ou es-tu resté un coincé des sentiments comme moi ? » Intriguée, je guettais sa réaction craignant, au fond, d’être allée un peu trop loin mais il ne sembla pas le prendre mal. « La seule madame Stephansen dans la ville, c'est ma mère. » Il éclatait de rire et mon rire se joignit au sien. Doux moment de complicité d’une amitié retrouvée. Ou plus. Maintenant que je savais qu’Hermès était libre, je n’allais certainement pas m’arrêter en si bon chemin. Le reconquérir était devenu mon but comme si j’étais redevenue en un instant l’adolescente sans peur, qui utilisait n’importe quel moyen pour avoir ce qu’elle voulait, ou qui elle voulait. Le retour de cette Lennon m’apporta un certain réconfort, comme si avec elle je pouvais oublier les remords. Oublier ce qui me tourmentait et rajeunir d’un simple claquement de doigts. « Et puis, faut croire qu'on change pas une équipe qui gagne. » Nos regards se croisèrent et je sentis immédiatement le lien qui se renouait comme autre fois, les mêmes envies, le même besoin de simplicité. Une équipe, ce mot nous convenait bien décidément, le même but : s’amuser, tout en se serrant les coudes. Ensemble nous avions tout ce que nous voulions. Personne ne pouvait comprendre ce que nous avions, ce qui nous liait. C’était resté une sorte de mystère non élucidé, nous n’avions pas vraiment cherché à définir notre relation. Nous savions juste que nous étions heureux comme ça et ça nous suffisait. Je n’étais pas encore si compliquée à l’époque : les cours, hermès, les potes… vie facile et sans trouble avec un grand frère encore présent.

Après quelques moments à réfléchir, je reposais mon regard sur lui tirant sur ma cigarette. J’expirais la fumée, un sourire malicieux aux lèvres et les yeux brillants. Je sentais le regard d’Hermès sur moi, j’avais l’impression de retrouver un pouvoir longtemps oublier. « Non sans rire, si tu t’es rangé c'est une grosse perte pour l’humanité… » « Ou peut être l'inverse. Qui sait ? » « et pour moi aussi, je dois l’avouer. » Joueurs, nous retrouvions nos vieux instincts d’autre fois. Moi, surtout, je le cherchais et ça se voyait. Je passais mes yeux sur son corps essayant d’apercevoir sous les vêtements ce que j’avais autrefois si bien connu. « Arrête, tu vas te brûler. Tu sais très bien comment ça finit avec moi. » Oui je savais, et c’était exactement le but de mes quelques répliques précédentes. Le chercher, lui rappeler ce que nous avions autrefois. Je tirais une autre fois sur ma cigarette avant de jeter le mégot un peu plus loin et d’expirer la fumée. Je finissais par approcher mon visage de celui d’Hermès avant de murmurer à son oreille. « Qu’est ce qui te dis que ce n’est pas exactement ce que je recherche ? » Je recule avant d’observer sa réaction, le sourire toujours pendu à mes lèvres. M’appuyant sur mes mains je finis par me relever avant de tendre une main à Hermès qui l’attrape avant de se relever également. A peine debout que je me colle à lui avant de l’embrasser, attirant son corps contre le mien, sans lui laisser vraiment d’autres choix. La fougueuse Lennon était de retour il n’y avait pas de doutes à avoir. Je me détache de lui, observant sa réaction, un sourire arqué. Je me dis que peut être j’avais fait une bêtise, que j’avais été trop rapide dans mes déductions. Hermès m’avait dit qu’il n’était pas marié mais peut-être avait-il une copine. Je passe une main dans mes cheveux, un peu nerveuse. « Désolé, c’était plus fort que moi. »

Lennon et moi, on se fixait. Elle avec provocation, moi avec désir. Il en fallait peu chez moi pour ranimer de vieilles flammes éteintes et enfouies en moi et j'étais du genre à tout prendre au pied de la lettre. En somme, il ne valait mieux pas jouer au jeu de la séduction avec moi parce que je m'avérais être un incroyable et redoutable joueur. « Qu’est ce qui te dis que ce n’est pas exactement ce que je recherche ? » Elle s'était approchée de mon oreille et son souffle chaud reposait sur ma peau. Ce qui m'arrangeait, c'était que la situation était entièrement claire pour nous deux et que je n'étais donc pas obligé de me lancer dans des explications longues et assez complexes sur ma personnalité et ma façon d'être. Puis, j'avais besoin de me distraire et Lennon semblait être parfaite pour ça. « Et bien dans ce cas, tu sais où me trouver. En l'occurrence, juste en face toi maintenant. » Un sourire aux lèvres, je la regarde se lever et donc me dominer de haut. Ses mains s'avancent vers moi, m'invitant à les saisir, chose que je fais. Une fois debout, nos corps sont relativement proches l'un de l'autre et prenant mes libertés, je pose ma main dans le bas du dos de mon ancienne amante. Très rapidement, les lèvres de Lennon se posent sur les miennes, de manière assez fougueuse et inattendue. Je la laisse faire malgré ma surprise. En général, avec les filles, c'était moi qui décidait de ce qui se passait et de comment ça se passait. Or Lennon avait son propre caractère et j'avais légèrement oublié que j'avais à faire à une meneuse. Elle finit par se détacher de moi et je ressentais sa nervosité, paradoxale par rapport à son geste précédent. « Désolé, c’était plus fort que moi. » Je souris, alors que la gêne - si je peux dire ça comme ça - montait en elle. Ce qui me faisait rire, c'était que j'étais persuadé qu'elle n'était même pas réellement désolée pour son geste. Elle en avait eu envie sur le moment et elle l'avait ça. J'étais bien placé pour savoir comment cette fille fonctionnait. Contre toute attente, je m'empressais de l'embrasser à mon tour, un peu moins fougueusement néanmoins.

Je continuais à l'embrasser, me remémorant progressivement le goût de ses lèvres. Puis je pensais au fait que finalement, je ne savais aucunement si elle avait oui ou non un copain. Honnêtement, peu importe la réponse, c'était le cadet de mes soucis. Quand j'avais quelque chose en tête, c'était difficile de me détourner de mon objectif. Alors si ça s'avérait positif, et bien c'était malheureusement triste pour son copain. Petit à petit, je mis fin à notre baiser, fixant attentivement mon amie, un petit sourire en coin au visage. « Hum, tu embrasses bien mieux que dans mes souvenirs. » Elle arqua un sourcil puis répondit par une tape sur mon épaule. J'avais envie de retourner quelques années en arrière, de retrouver la Lennon que j'avais connu et que j'avais fréquenté. Maintenant qu'elle se trouvait face à moi, je réalisais qu'elle m'avait quand même manqué. J'avais sincèrement envie que tout ça se termine chez elle ou chez moi, avec un bon joint en extra. Et ce serait exactement comme quelques années plus tôt. « Je suppose que ce n'est pas le seul domaine où tu t'es améliorée.» Je lui avais murmuré ça dans le creux de l'oreille, mon souffle chaud s'écrasant sur sa peau, la provoquant à mon tour. Mes lèvres se posaient progressivement sur le haut de ses épaules, remontant petit à petit sur son cou. Ca m'amusait, de jouer ainsi avec elle. Je savais qu'elle répondrait, elle répondait toujours. Je posais à nouveau mes lèvres sur les siennes, l'embrassant beaucoup plus fougueusement que précédemment.

Oui, je sais, c’était idiot de se laisser ainsi emporter par le passé. Mais parfois, il était bon de retrouver son insouciance et ses réactions d’autrefois. Mieux que ça, je me sentais revivre, littéralement. Je retrouvais cette sensation de danger, l’adrénaline oubliée qui recommençait lentement à voyager dans mes veines. Electrisé c’est un peu le sentiment que m’avait laissé notre baiser. Retrouver Hermès était comme un cadeau envoyé par le ciel, pour ne pas oublier ce que j’aimais au fond : la simplicité. Chose que j’avais oublié ces derniers temps car j’avais été emporté dans un flot de complication dont Noam était l’auteur. Jamais autrefois je ne me serais laissé emporter dans ce bordel sans nom, jamais je ne me serais attachée à lui. Car même si nous n’étions pas un couple, il y avait une sorte d’engagement silencieux entre nous, des promesses échangées. J’étais allé trop loin et il me semblait impossible de faire marche arrière. J’espèrais que, maintenant que les choses étaient claires, que plus jamais je n’aurais à affronter de situations aussi complexes et retrouver Hermès était signe que j’étais sur la bonne voie. La simplicité dans toute sa beauté.

Néanmoins, je regrettais de l’avoir embrasser, je ne savais rien de lui et je n’étais certainement pas le genre de fille à piquer le mec des autres. J’étais un peu trop respectueuse et rien que de penser qu’on puisse me faire ça un jour me rebutait au plus haut point. J’imaginais alors une fille avec Hermès et je sentis le remord m’envahir. Je m’excusais alors rapidement de mon geste. Il y a quelques années j’en aurais certainement eu rien à faire mais les évènements récents avec une certaine Siloë me motivait aujourd’hui à prêter plus attention aux conséquences de mes gestes. Néanmoins, j’étais soulagée d’avoir fait le premier pas et j’espérais qu’il n’y ai personne qui puisse se mettre entre nous car je n’étais pas vraiment décidée à en rester là. Partagé entre le respect et l’impulsivité, cela était bien difficile de trouver qui je voulais vraiment être. L’ancienne Lennon prête à tout pour avoir ce qu’elle voulait, ou la nouvelle qui commençait à réfléchir à la portée de ces actes ? Comme pour répondre à ce paradoxe qui me tiraillait, Hermès se pencha vers moi et posa ses lèvres sur les miennes. Soulagée d’un poids, je lui rendais son baiser. Nos lèvres se quittent et nos regards se croisent. Un sourire s’affiche sur le visage d’Hermès et je me mords la lèvre inférieure. J’aimais ce sourire, il était porteur de bien des souvenirs. « Hum, tu embrasses bien mieux que dans mes souvenirs. » Je riais doucement avant de lui asséner une tape sur l’épaule. « J’imagine que les années forgent l’expérience. » dis-je avec un petit sourire. Evidemment que nous nous étions améliorés, nous étions encore que des gamins à l’époque il faut dire. « Je suppose que ce n'est pas le seul domaine où tu t'es améliorée.» Ses lèvres se posèrent sur mon épaule et je frissonnais doucement tandis que ses baisers remontaient jusqu’à mon cou. Il me rendait dingue, exactement comme avant. Voir même plus qu’avant. Nos lèvres finirent par se rejoindre une nouvelle fois se scellant dans un nouvel élan passionné. Nos langues se frôlent tandis que ma main se déplace sur sa nuque ou je l’accroche un peu plus à moi. Nos lèvres se détachent, je plante mon regard dans le sien. Du bout des doigts, je frôlais son cou, ses lèvres. « Ca te dit qu’on aille chez toi je pourrais te montrer de quoi je suis capable, aujourd’hui.» suggérais-je avec un sourire. Oui, la respectueuse Lennon était partie loin, très loin. Plus rien ne comptait à présent, juste Hermès, juste cette envie qui me dévorait de l’intérieur.

Hermès ouvrit la porte de l’appartement, j’y découvrais quelques photos ci et là. Ses clichés étaient toujours aussi beau même encore meilleur qu’autrefois. « Voilà un domaine ou tu t’es définitivement amélioré. » Je m’approchais de lui doucement avant d’embrasser l’arrête de sa mâchoire avec un petit sourire, reprenant notre discussion de toute à l’heure. « Montre moi tes autres talents… j’imagine qu’ils sont nombreux. »