La semaine avait été longue. Longue et dure. Mon dernier procès s'était conclu non par un acquittement, comme je l'avais espéré, mais par un internement en hôpital psychiatrique. Mais je savais que mon client n'était pas fou. Et j'avais demandé une contre-expertise. C'était il y a deux jours. Depuis, l'affaire était en suspens. Mes autres cas également.
Un homme qui avait renversé un chien alors qu'il conduisait sous l'emprise de stupéfiants, une femme qui avait accidentellement étouffé son bébé et un adolescent mal dans sa peau et aux fréquentations plutôt douteuses qui avait poignardé sa mère de dix-neuf coups de couteau. Bref, que des affaires particulièrement reluisantes et attractives, qui me poussaient de plus en plus à m'interroger sur le pourquoi du comment j'avais privilégié le droit criminel et ses histoires sordides au droit privé et ses histoires ennuyeuses à crever. Sauf que la réponse était comprise dans la question. Parce que c'était ennuyeux, justement. Et que je détestais m'ennuyer.
C'est d'ailleurs pour ça que j'avais décidé de sortir, ce soir. Enfin, pour ça et d'autres choses, bien sûr. Premièrement, pour évacuer un peu, et penser à autre chose qu'à des morts, des procès, des appels, des acquittements, des condamnations… Et deuxièmement parce que ce soir, j'avais envie de m'amuser. J'en avais marre de rester cloitrée toute la semaine derrière un bureau (sur lequel s'amoncelaient lettres et dossiers en des piles atteignant une hauteur inquiétante) à tenter de trouver une argumentation pour défendre des crimes particulièrement odieux, ou des délits d'ado prépubère qui voulait faire son malin pour impressionner son groupe de potes. Plus j'y pensais, et plus je me disais qu'au lieu de faire avocate, j'aurais mieux fait de faire procureur, défendre la veuve et l'orphelin, ce genre de choses… Au lieu de tremper dedans jusqu'au cou, comme c'était le cas dans la majorité des affaires que je défendais. C'en était à un point tel que je me faisais haïr (au sens propre du terme) par les familles des victimes, ou les victimes elles-mêmes lorsqu'elles étaient encore vivantes, alors que je ne faisais que mon job. C'était comme détester à mort son médecin, simplement parce que les médocs qu'il nous a refilés ne nous font aucun effet. Ri-di-cule !
Enfin, bref… J'avais choisi de faire ce métier, je n'avais plus qu'à assumer, pas vrai ? Sauf que, pour assumer, j'avais besoin d'évacuer. Et pour évacuer, rien de tel qu'un bon billard avec un verre de bon whisky à la main.
Aussitôt dit, aussitôt fait (ou plutôt, aussitôt pensé, aussitôt exécuté, mais passons), il m'avait fallu moins de vingt minutes pour me préparer et sortir de chez moi ce qui, de ma part, était un véritable record niveau temps de préparation. J'avais troqué mon tailleur strict contre un t-shirt rouge, un jean coupe droite blanc et des escarpins en daim rouge. Rien de bien sophistiqué, ni de trop vulgaire. Juste ce qu'il fallait pour une sorte histoire de se changer les idées.
J'avais la chance d'habiter en vieille ville, à l'endroit même où il fallait être pour passer une bonne soirée, ce qui fit que moins d'un quart d'heure plus tard, j'étais accoudée au comptoir d'un pub archi-blindé, en train de commander un whisky (sans glaçon), tout en guettant du coin de l'oeil si une table de billard ne daignait pas se libérer.
J'en étais à mon troisième verre lorsque la chance me sourit enfin : une table venait tout juste de se libérer. Posant la monnaie de mon addition sur le comptoir, j'allumai une cigarette avant de me diriger vers la table en question.

« Eh, Lilly, tu comptes quand même pas jouer toute seule, si ? »

Je me tournai vers le barman, un sourire aux lèvres.

« T'en fais pas pour moi, Tim, je trouverai bien un partenaire de jeu avant le lever du soleil, fais-moi confiance... » rétorquai-je avec un sourire. Et, sans plus me préoccuper de lui, je me chargeai de préparer le triangle.