- Nora, vous pouvez venir dans mon bureau s'il vous plaît ? Passé dix-neuf heures, aller dans le bureau du chef, ça ne veut plus dire aller l'aider, le servir, répondre aux ordres de sa majesté. À partir de dix-neuf heures, une minute, c'est les heures sups'. Les baisers dans le cou, la main sous la jupe, sur la cuisse, les lèvres qui se promènent un peu partout. Et Nora, qui endure. Docile. Le rêve de toute secrétaire, tout ça.

Sur le chemin, de son bureau à celui de son directeur, elle croise à peu près tout le monde du bureau. Les avocats, les assistants juridiques, les autres secrétaires, les associés. Ils rentrent chez eux, ou ils vont chercher un hot dog en bas. Ils croisent cette pauvre petite blonde à l'air apeuré. Oh, ils savent. C'est que le connard s'en vante à la fin des réunions. Ah, la petite Nora, hein. Avec un air qui veut dire je me la fais, les gars. Mais c'est pas tout à fait exact.

Nora, vingt ans, vierge. La petite, elle demeure pure. Aussi pure que l'eau d'une piscine, aussi pure qu'un diamant. Saïd n'est jamais allé plus loin qu'une main trop baladeuse - c'est dommage -, et le monsieur Bishop, il doit avoir peur d'être surpris par un autre, encore plus haut que lui dans la hiérarchie. Probablement ? C'est déjà arrivé. Ça arrive. Une petite intrusion, un rougissement, une jupe de travers. Et chaque fois, Nora espère. Un Saïd. Un Saïd en super héros.

Mais non. Saïd sait et Saïd bout de l'intérieur. Et c'est tout. Ainsi, Nora est abandonnée, par tout le monde, laissée entre les mains trop grosses de ce chef qui la paye un peu plus pour le laisser promener ses mains sur sa peau douce. En pauvre agneau qu'elle est, pas encore bien adaptée à ce monde violent, elle ne fait rien, elle ne parle pas, et elle attend gentiment que quelqu'un la sauve. Saïd, de préférence ? Il pourrait avoir sa pureté en récompense. T'entends ça, Hodgson ?

- Nora. Et ce sourire pervers qu'elle lui ferait bien avalé, avec ses dents, son foutu sourire de l'année, qu'il arbore, oh, si fièrement. Comme si y avait de quoi être content. Il lui saute un peu dessus, le gros cochon. C'est vraiment le comble du romantique, les caresses sur le bureau d'un avocat. Elle pourrait pas rêver mieux, la Nora, hein ? Bon dieu, faut toujours que tu tombes sur des dingos. Ça te plairait pas, de trouver un bon gars, qui t'embrasserait gentiment la clavicule ?

Bien sur que si.

Un bon gars. Il y en a un, à la sortie du boulot. Un bon gars, bien beau par dessus le marché. Et puis en plus d'être beau, il est gentil. Et puis en plus d'être gentil, il est toujours à l'écoute. Et puis en plus d'être ... et cetera. Vous voyez le genre. Le garçon parfait. Le genre idéal. Le béjai ultime. Et l'amour de sa vie, en fait. Son joli Luben. À moins que ce soit Stan ? Oh, non. Enfin, Nora. Tu le reconnaitrais entre mille Stan, ton Luben. Évidemment, que c'est lui.

Elle salue le boss, il lui souhaite bonne nuit d'une claque sur la fesse. C'est qu'il est collant l'animal, et sale, vulgaire, idiot, une ordure ce monsieur. Et alors ? Elle supporterait toutes les ordures du monde si ça veut dire qu'après, Luben est là pour remonter le moral. Elle trottine jusqu'à lui, laissant la sale soirée derrière elle, laissant voler sa robe autour d'elle. Elle se laisse aller dans ses grands bras. Oh, ça y est, tout va bien. - Coucou mon chaton. Quel grand sourire que voilà. - T'es une jolie surprise de fin de journée, je dois dire.

Il a attendu un moment devant le grand building, à sourire à la simple idée de passer la soirée avec elle. Il a attendu, s'est impatienté et a finit par s'inquiéter. Elle aurait déjà dû quitter. Il est dix-neuf heure passé, sa petite Nora n'est toujours pas là. Et en plus de cela, elle ne répond pas au téléphone. Qu'est-ce que tu fais Nora, tu me fais peur là.

Il lève les yeux, tout petit à côté de ce monstre d'architecture. Il le voit son étage, il sait où elle travaille. Il souffle, écrase un mégot contre le bitume et pousse la lourde porte. Il grimpe dans l'ascenseur qui se remplit petit à petit. Les gens descendent alors que lui souhaite monter. Ils ont terminés leur journée et ils rentrent chez eux. Tous ces gens en costume, ces gens bien habillés, ils le dévisagent. Il peut les entendre, leurs pensées. Qu'est-ce que tu fous là gamin ? C'est pour les Grands ici. Tu t'es vu avec tes vêtements, tu t'es cru à la plage mon grand ? T'as l'air d'un con tu sais avec ce short, ces baskets et ce sac-à-dos ? T'as l'air inquiet un peu, t'as perdu ta maman ? Bon dieu, il est pas mal ton short, dis moi, tu crois que c'est ma taille ? J'ai chaud dans mon costume. Je crève de chaud dans ce foutu costume. Fais chier bordel, t'as l'air bien là dedans. Tu montes ? Tu montes vraiment ? On est obligés de remonter rien que pour ta belle gueule ? Putain de gamin. Il les entends, ils voient leurs yeux le détailler. Il les énerve, sa jeunesse les énerve, sa naïveté et sa liberté aussi, il le sait. Il les emmerde. Il veut sa Nora. Il arrive à son étage et sort de l'ascenseur, il ne les salut pas, les autres. Il entend leurs soupirs de soulagement, ils vont enfin pouvoir redescendre.

Nora n'est pas là. Elle n'est pas à son bureau. T'es où Nora, tu me fais peur là.
Luben voudrait demander à la secrétaire où est passée Nora. Mais c'est Nora la secrétaire. Il regarde autour de lui. Un vieux con. Encore un autre et oh ! une quarantenaire. Il s'avance vers elle et se pare de son plus beau sourire. Il la sent frémir la cougar. Elle croit qu'il s'intéresse à elle. Non merci. « Excusez-moi madame - déjà elle perd son sourire - je cherche Nora, Nora Bird, vous savez où je peux la trouver ? » Elle sert les mâchoires et le regarde avec haine. Madame serait-elle jalouse de la jolie Nora ? « Dans ce bureau. Vous feriez mieux d'attendre ici. » Elle sourit. Pourquoi elle sourit ? Ranges tes dents, elles sont pas belles. Pourquoi tu me regardes comme ça avec ton putain de sourire victorieux ? Luben ne sourit plus. Elle est moche la vieille. « Merci. » Il va attendre, encore. Il s'adosse à un mur, face à la porte du boss. Il ne l'a pas manqué. Sa Nora est toujours là. Mais qu'est-ce qu'elle fout là dedans ? Il attend.

Il attend et elle sort enfin. Un sourire vient fendre le visage de Luben. Elle est là. Sa Nora, son petit oiseau. Il avance vers elle. Bon dieu qu'elle est belle. Elle a l'air d'une enfant dans sa robe à volant. Il ouvre grand les bras pour étreindre le si petit corps de la gamine. Il la sert fort contre lui. Elle le sert plus fort encore. Et elle reste nichée dans ses bras un instant. « Coucou mon chaton. » Il répond d'un baiser sur son front. « T'es une jolie surprise de fin de journée, je dois dire. » Il rit doucement et s'écarte un peu d'elle. « Et attends, c'est pas fini, j'ai apporté quelque chose pour toi ! » Il sourit comme un gamin en fouillant dans son sac. Il remue tout à l'intérieur. Ça ressemble au sac d'une femme tant c'est le bordel. Sans les tampons et le maquillage. Sans les miroirs et les lunettes de soleil. Sans le parfum. Il sort un paquet de clopes, un briquet. Son portefeuille, ses clés. Une console de jeux vidéo, sa psp. Quelques papiers chiffonnés. Puis ce qu'il cherche. Il se retourne face à Nora et le cache dans son dos. Il ne veut pas qu'elle le voit maintenant.

Des pingouins en costume s'arrêtent presque de marcher pour les regarder. La vieille les épie derrière la vitre de son bureau. Elle est jalouse madame, elle est jalouse de Nora. Il s'en fout, il les ignore. Il n'y a plus qu'eux. Plus que Nora et Luben.

Il sourit, de son air innocent. « Je suis passé devant hier soir en rentrant du taff. Il m'a fait pensé à toi. » Il le lui donne. Enfin. Il le brandit devant lui. Il se mordille la lèvre inférieur, il espère tant que cela lui plaise. « Il est tout blanc, tout doux, il sent même bon, sens ! » Il est beau l'ourson. La petite peluche pleine de poils. Il a craqué en la voyant. Il a craqué comme devant Nora dans sa robe blanche le premier jour de la rentrée. « Je sais, c'est qu'une peluche mais.. » Il se passe une main dans les cheveux.
Nora, vingts ans, se voit offrir une peluche par Luben, vingts ans et la moitié dans sa tête.

Baiser sur le front. Rire doux. Tu m'étonnes qu'il fait fondre les filles et même les garçons. Tu m'étonnes. Il est tellement plus authentique que tous ces gens autour, des bureaucrates. Ces adultes. Luben c'est Peter Pan. Avec son sac à dos minuscule, son short de plage, son débardeur aztèque. - Et attends, c'est pas fini, j'ai apporté quelque chose pour toi ! Elle taperait presque dans ses mains, d'excitation. Un cadeau ! Si Luben est un garçon éternel, Nora est une petite fille.

Il extrait du foutoir de son sac imprimé un paquet de cigarette, un briquet. Elle élève ses jolis sourcils. La belle surprise ... Portefeuille, clés, PSP, papiers froissées ? Six surprises ? C'est plutôt comme si il se déchargeait sur elle. Oh mais qu'elle est naïve, Nora ... Le cadeau, il est tout au fond. Du sac. Maintenant, il est caché dans le dos de Luben. Le joli coquin. - Je suis passé devant hier soir en rentrant du taff. Il m'a fait penser à toi. C'est un ourson blanc.

- Il est tout blanc, tout doux, il sent même bon, sens ! Je sais, c'est qu'une peluche mais.. Elle arrondit la bouche, un long " oh " s'en échappe. Émerveillé, le " oh ". Elle fourre son nez dans le ventre de son nouvel ami ; ça pour sentir bon ! Ça sent le Luben Niermietz. Le Luben qu'elle embrasse sur la joue. - Il est adorable. Et ça carbure déjà dans la petite tête blonde. Un nom, un nom, un nom. Un truc gnangnan et mielleux, comme elle aime ...

- Merci, en tous cas. Le sourire qui accompagne la remarque est sincère. Plus sincère que celui du patron quand il susurre : - Passez un bon week end Nora. Ah, t'es encore là, toi ? - Merci, vous aussi monsieur Bishop. Allez, casse-toi, et prends ton sourire pervers avec toi. Coup d’œil vers Luben. Oh si seulement elle pouvait prétendre qu'il est son petit ami. Bishop, il irait voir ailleurs. Les hommes respectent quand les femmes ont un petit ami. Elle l'a lu dans Cosmo.

Luben Niemietz et Nora Bird ne sortent pas ensembles. Malgré l'étreinte, malgré le cadeau, malgré la passion évidente qu'ils ont l'un pour l'autre, malgré ce qu'on a pu dire de leur relation au lycée. « Luben et Nora, y sont amoureux. » Ce qu'ils ont, c'est sacré, précieux, noble, cher, rare, recherché, jalousé, beau, pur, on n'y touche pas. Ce qu'ils ont, ils l'ont grâce à la rentrée 2009.

Ils sont toujours dans le hall du cabinet, ça commence à l'ennuyer un peu, même avec l'ours contre son cœur, même avec Luben dans son espace vital. Elle salue les palmipèdes et tire sa révérence. Et dehors, elle respire enfin un air qui n'est pas intoxiqué par le parfum de monsieur Bishop. Un air qui sent bon la nuit et Luben. Et bientôt, sous le tissu de sa robe, son ventre gargouille assez fort pour qu'Elizabeth II, de son trône anglais, puisse l'entendre.

- Oops, elle rit, carillone. - Tu me payes un très très gros burger ?

Surprise réussie. Sa petite Nora sourit. Alors lui aussi. Elle l'embrasse sur la joue. « C'est vrai ? Il te plaît ? » Les yeux grands ouverts et pétillants, Luben est content de son cadeau et du sourire que lui offre Nora en retour. « De rien Birdie. »

Un énième pingouin en costume vient interrompre leur petit moment rien qu'à eux. Il vient briser un instant leur petite bulle d'amour. Il a l'air poli, ses propos se veulent courtois, respectueux. Mais ce pingouin là, comme beaucoup d'autres de la même espèce, pu le faux. Il est superficiel, il est vieux, il est moche lui aussi. Les grands buildings, l'argent et les bureaux fermés rendent moches ? Il va falloir que tu sortes de là ma petite Nora, ces pingouins là ne sont pas bons pour toi. T'es bien trop jolie pour eux. Luben regarde le vieux patron passer. Il hoche la tête pour le saluer. Pure politesse. L'autre ne lui inspire aucune confiance. Aucune. Luben a vu son regard, son sourire aussi vrai que le cul de Nicki Minaj ou les seins de Nabila. Il a vu ses yeux se promener sur le corps de Nora. Connard, t'es même pas discret en prime. Le regard du brun n'est pas des plus agréables. Son air enfantin et malicieux s'est évanoui face au patron de Nora. C'est qu'il ferait presque peur le petit Niemietz avec ses yeux marrons plongés dans ceux du vieux.

Il jette un œil à Nora. Elle ne l'aime pas le patron, il le voit très bien Luben. Il la met mal à l'aise même. Luben n'aime pas ça. Tu faisais quoi dans ce foutu bureau Nora, tu me fais peur là. Luben presse doucement le poignet de sa protégée - Je suis là. - , le patron appelle l'ascenseur avant de disparaître à l'intérieur. Il a regardé les deux mains presque liés des deux jeunes, il les a regardé de travers avant de disparaître dans la boîte en fer. C'est ça casse toi, et arrêtes de dévisager Nora.

Luben regarde Nora silencieusement, il espère qu'elle va lui dire quelque chose. Il aimerait qu'elle se confie à lui, qu'elle lui explique ce qu'elle faisait avec le vieux con dans son bureau. Mais elle ne le fait pas et il se résout. Il demandera probablement plus tard, ou bien attendra-t-il qu'elle le lui dise d'elle-même. Pour le moment elle veut s'enfuir de ce building qui sent le renfermé. Ils n'attendent pas l'ascenseur, leurs jambes foulent la centaine d'escalier. Et Nora respire. Et Luben aussi. Il est déjà resté trop longtemps enfermé dans ce trou avec tous ces gens trop bien habillés pour lui. Comment fait-elle Nora, pour passer ses journées ici ? Il lui demandera. Mais avant ça l'estomac de la belle réclame un burger. Un très très gros burger. Il gazouille, un petit monstre semble avoir élu domicile à l'intérieur. Regard complice et ils rient ensemble.

« Un gros burger ? t'es sûre ? c'est pas vraiment bon pour ce que t'as tu sais.. » Et il essaie tant bien que mal de conserver son sérieux alors qu'il regarde le ventre de Nora en haussant un sourcil. Il grimace. Nora grosse.. Si c'est pas la plus grosse blague de la galaxie ça.. Il rit et la pousse doucement. Pas trop fort, la petite plume pourrait s'envoler. « Aller viens, je t'emmènes au Macdo! » Il sourit. Une musique vient de lui venir en tête à ses propres paroles et il chante en la regardant un peu, en souriant comme un enfant. Il est avec sa Nora, il est heureux. Il chante dans un français approximatif mais pas trop mauvais pour un Bulgare qui vit aux Etats-Unis. « Aller viens j't'emmènes au veeeent je t'emmènes au dessus des geeeens. Et je voudrais que tu te rappelles notre amour est éternel et pas! artificiel je voudrais, que tu te ramèèèènes devant! que tu sois là de temps en temps! et je voudrais que tu te rappelles notre amour est éternel et pas! artificiel je voudraiiiis... » Il se tait un instant, réfléchit. « Merde.. je connais pas la suite.. J'étais lancé là.. » Il hausse les épaules. Tant pis. « Tu connais toi ? »

Ils arrivent au macdo. L'estomac de Luben a fini par répondre à celui de Nora et un dialogue semble être engagé entre les deux. Eux, ils en rigolent. Les caisses bondées, Luben s'arrête devant une borne automatique et sort sa carte. « Tu prends quoi Nono ? fais toi plaisir, c'est moi qui régale! Je viens d'avoir ma paye en plus. » Il sourit fièrement. Et oui, le petit Luben est un grand garçon qui peut régaler sa meilleure amie de tout ce qu'elle désire.

Rentrée 2009, donc. Elle parcourt les couloirs, rêveuse. Pas de lycée privé à Town Square. Les casiers sont tagués, les toilettes à la limite du dégueulasse. Ici c'est la vie vraie. Son enthousiasme grandira à la cafeteria, à la vue de tous ces élèves, ce mélange, ces groupes : les intellos, les cools, les sportifs, les rebelles, les artistes, et les autres. Pour l'instant, elle est perdue. Dans sa robe blanche.

Elle est seule et soudain ils sont deux. Quand il lui parle pour la première fois, elle a cette impression qu'il force son accent américain. Et quand il lui dit son prénom, elle comprend que, aaaah, c'est que. Il est pas américain. Mais les différences, ça rapproche. Ça fait même rire. Et les rires, dans les couloirs vides, résonnent. Il faudra monsieur le proviseur pour éteindre l'hilarité qui les agitent. Il faudra quelques remontrances. Mais pour détruire l'amitié nouvelle, ah çà, il en faudra plus.

De retour en 2013, Luben prend un air drôlement sérieux pour sa réponse. - Un gros burger ? t'es sûre ? c'est pas vraiment bon pour ce que t'as tu sais. Ce qu'elle a ? Elle a un air apeuré soudain. La graisse du ventre se voit au travers de la robe alors ? Et puis, elle rit, en elle. Luben, ce bout en train. Il est bien ton ventre, tout plat tout beau, le dur travail de quatre années de boulimie. Jusqu'à ce que ça passe. Comment, déjà ? Ah, oui, avec le temps.

- Aller viens, je t'emmènes au Macdo! Graou, son ventre en gargouille, de plaisir cette fois. Elle sent déjà l'odeur des steaks chatouiller ses narines, et le sel sur ses lèvres. Ça fait deux ans alors. Deux ans qu'elle s'autorise à avaler un MacDo, sans se sentir obligée d'aller recracher après. Et alors, t'es contente de toi ? Ben, oui. Le goût de la mauvaise bouffe. Le ketchup trop sucré sur les frites. Le gras sur le pain du burger et le coca trop glacé. Ça me ravit. Bien.

- Aller viens j't'emmènes au veeeent je t'emmènes au dessus des geeeens. Et je voudrais que tu te rappelles notre amour est éternel et pas! artificiel je voudrais, que tu te ramèèèènes devant! que tu sois là de temps en temps! et je voudrais que tu te rappelles notre amour est éternel et pas! artificiel je voudraiiiis... Pause. Moue déçue. - Merde.. je connais pas la suite.. J'étais lancé là.. Oh, qu'est-ce que tu fais là, Luben ? Variété française, t'es sur ?

- Tu connais toi ? Elle agite tristement et négativement la tête. Oh non, la suite, elle connaît pas. Qu'elle aurait voulu pourtant. Et enchainer à sa suite. La docile. Mais en français, elle sait à peine dire deux mots. Ritournelle et cœur. Poétique la gosse. Mais il est triste, le Luben. Alors elle enchaîne oui, mais sur une autre suite, sur une chanson de son répertoire à elle. Elle entonne Together, en imitant à peine la voix fantomatique de la chanteuse.

Ils se croisent dans une vitre. La baie vitrée renvoient deux copies conformes de Luben Niemietz et de Nora Bird. Voilà, elle leur dit presque, c'est vous, ça, c'est exactement ce à quoi vous ressemblez, vous vous trouvez comment ? Luben, il a la classe. Le menton haut, le regard qui rigole et qui se moque presque de vous. Les lèvres qui appellent d'autres lèvres. Et Nora, vue de l'extérieur, est parfaite. Parfaitement parfaite, comme ses parents la voulaient.

Et Nora vue par Nora, alors ? Ça plaît pas. Oh, Nora se plait pas à elle-même, terriblement pas. Cette robe, là, elle est trop mignonne, trop conne. Et ces cheveux, ils sont comme elle : bien lisses, bien domptés. Trop. Elle voudrait être comme les américaines qu'on voit dans les vieux films. Grosses lunettes noires, bubble gum impossible à mâcher bouche fermée, la grosse veste en cuir - trop large, propriété d'un petit ami peut-être - sur le dos.

Et alors, si j'étais comme ça ? Est-ce que Saïd voudrait de moi ?

Mais la question, dans l'immédiat, est toute autre. La vraie question, la question de vie et de mort, la question ultime : que manger ? Ils y sont ça y est. Le sol sucré accroche leurs chaussures, ça sent le gras et la frite. Oh oui, c'est bien MacDo ma fille. - Tu prends quoi Nono ? fais toi plaisir, c'est moi qui régale! Je viens d'avoir ma paye en plus. T'es gâtée aujourd'hui, la belle. Et alors, devant tout ce qu'elle a le droit d'avoir, ses yeux pétillent.

- Bonjour m'dame. Un menu maxi best of avec une grande frite, un double cheese et un ice tea sans glaçons. Et en plus, un big mac, des nuggets et un mcflurry. S'il vous plaît. Et dans sa précipitation, elle a laissé tomber sa galanterie, oublié le Luben et sa propre faim. Et dans sa précipitation, surtout, elle a oublié de remarquer qu'elle avait commandé ... trop ? Timide, elle regarde vers Luben. Je peux, je peux ? - C'est pour Bijou aussi, qu'elle argumente. Il a faim. Ah, oui. L'ours, c'est Bijou. Gnangnan, concon, culcul.

Et elle, elle est regardée par la vendeuse, aussi grasse que les frites. La vendeuse, elle aime pas les jolies nana du genre de Nora qui se font offrir MacDo par un béjai comme Luben, qui bouffent plus de que raison et ne prennent pas un gramme. Oh, ces filles-là, elle les vomit.

Nora ne connaît pas les classiques français. Il est un peu déçu Luben mais il comprend. Pourtant il se promet de lui faire écouter quelques chansons françaises un jour. Fauve. Stromae. Kyo. Indochine aussi. Il n'en connaît pas énormément mais il est persuadé qu'elle pourrait aimer. Parce que c'est beau le français, que ça chante un peu, c'est doux. Un peu comme l'espagnol, mais Luben il préfère le français. Et le bulgare. Oui, le bulgare avant toutes choses. Il aime le bulgare, entendre tout un groupe de personne le parler autour de lui, lui manque un peu. Maintenant il ne le parle plus qu'avec Stan, même les autres membres de sa famille ont tendance à parler plus souvent anglais. Il faut s'habituer à la langue, disent-ils. Même après quatre ans dans ce pays.
Luben hausse les épaules et Nora entonne une chanson pour lui. Il la regarde. Elle est mignonne Nora quand elle chante. Et la chanson, il l'aime bien. C'est un peu eux, together. Nora et Luben, les inséparables. Puis c'est un peu elle est Saïd, c'est surtout elle et Saïd. Luben le devine, cette chanson doit lui faire penser à Saïd, son beau Saïd. Celui que Luben n'aime pas, celui qu'elle aime plus que tout. Ils ne se connaissent pas vraiment mais Saïd effraie Luben, pas parce qu'il frappe plus vite et plus fort. Mais parce qu'il joue trop près de sa Nora, parce qu'elle l'aime d'un amour inconditionnel, parce qu'il est un sale type, parce qu'elle pleure en pensant à lui. Parce que quelques fois il a dû sécher les larmes qu'un Saïd avait fait couler. Pourtant elle dit qu'il la rend heureuse. Alors pourquoi tu pleures pour lui Nora ? Luben il a peur, peur que Saïd emmène sa Nora, qu'il la fasse rêver, planer, et qu'elle ne revienne plus jamais. Il a peur qu'il la laisse tomber, qu'il la laisse brisée. Luben a peur de Saïd, pour sa Nora.
Mais ils sont tous les deux, il n'y a qu'eux dans cette rue déserte. Pas de Saïd, il n'est que dans le cœur de Nora. Mais bel et bien présent à cet endroit. Mais ils sont ensembles et Luben chasse Saïd de sa tête. Parce que l'imaginer accroché à Nora, ça lui file la boule au ventre.

Et ils arrivent au Macdo, bercés par un silence doux, qui n'est pas pesant. Après qu'ils aient pensés à Saïd, chacun dans leur tête.
Les yeux comme le sourire de Luben s'agrandissent à l'écoute de la commande de Nora. Rien que ça. La vendeuse elle non plus n'en revient pas. Et elle rage, il le voit bien. Elle voudrait être comme Nora. Resplendissante. Il rit un peu. Elle est bête parfois Nora. Il secoue doucement la tête. « Bien sûr que tu peux nounouille. » Ça lui fait plaisir de la voir manger autant. Il sait qu'elle n'a pas rendez-vous avec les toilettes après. Elle mangera, peut-être pas tout, mais elle n'ira pas donner son repas à la chasse d'eau. Pas comme elle aurait pu le faire il y a deux ans.
Luben tique et hausse un sourcil. « Bijou ? » Il se tourne vers la serveuse, qui lui sourit chaleureusement. Pas comme avec Nora. Alors il lui rend son sourire, peut-être y gagnera-t-il une boîte de nuggets ou une frite gratuite, qui sait. Elle est pas jolie, elle est grosse et grasse mais Luben est un charmeur, affamé et parfois un peu radin. « Un menu maxi Best Of Night potatoes-coca, un p'tit wrap et un sundae chocolat s'il te plaît. » Et il la tutoie. Et il augmente ses chances d'avoir des nuggets en bonus. L'autre sourit, rougit un peu et file préparer la commande. Luben sourit. Des nuggets. Des nuggets. Des nuggets.

Ils attendent. La serveuse fait des allers-retours. Elle vient, dépose un sandwich, repart. Reviens, dépose une frite, repart. Elle se dépêche en souriant à Luben chaque fois qu'elle revient. Le plateau se remplit. Il regarde un peu autour de lui, le fast-food grouille de monde. Les tables se voient prises petit à petit. Pourvu qu'ils en aient encore une. L'eau lui monte à la bouche alors que la vendeuse dépose une dernière chose sur le plateau, regardant Luben avec insistance. NUGGETS. Il sourit et la remercie. « Ça.. vous fera 38,59 dollars. » Ah, elle n'a pas osé le tutoyer à son tour. Il rit intérieurement. Il glisse sa carte dans la machine, tape son code, reprend sa carte. C'est payé. Il sourit une dernière fois à la vendeuse, au revoir, avant de prendre le plateau. Trop lourd pour deux personnes normalement constitué. « Tu préfères manger dedans ou dehors ? »

- Bijou ? Avec le sourcil élevé, sexy à souhait. Elle sourit de contentement et le serre contre elle, Bijou. Pendant que Luben passe sa commande. Enfin. C'est plutôt le numéro Luben, comme elle aime l'appeler. Et cette serveuse, elle a droit au grand jeu. Le tutoiement en prime. Nora assiste au spectacle de loin, Luben a l'air trop concentré et la serveuse trop flattée pour qu'elle vienne mettre son joli nez en trompette dans leurs affaires.

Parce qu'elle le connaît comme si elle l'avait fait, le Luben, elle sait qu'il drague par intérêt. Et que si il arrive à avoir un petit plus dans son menu, il partagera avec elle. Qu'il drague, c'est dans l'intérêt de tout le monde. Alors elle reste en dehors. Bijou contre son cœur. Et c'est que le début de la soirée. Avec combien d'autres il flirtera, encore ! Luben a la drague aiguë. Tout le monde est draguable. Et vas-y les vieilles dames, les chiens des vieilles dames, les chauffeurs de taxi.

Mais jamais Nora.

Avec Nora, ça marcherait pas. À cause de Saïd, et à cause du respect. Truc essentiel à l'amitié. Surtout la leur. Mais avec les autres ? Oh, ça rate jamais. Il est doué le con. En un regard souriant, il vous donne cette foutue impression que vous êtes la personne la plus importante au monde pour lui. Qu'il va aller vous décrocher la lune et ses amies les étoiles. Et ce soir, ça paye. Ce soir, il est récompensé. Il sourit plus au petit paquet de nuggets qu'à la serveuse qui les offre.

Merci, au revoir. Les salutations de Nora résonne dans le vide, madame la serveuse n'a d'yeux que pour Luben. Et ledit Luben pour ses nuggets d'amour - la pauvre serveuse. Elle doit en voir passer, des jolis garçons, mais celui-là, sûr qu'elle s'en rappellera longtemps encore. Alors que Luben, l'a déjà oublié. Luben veut savoir si ils mangent à l'intérieur ou à l'extérieur. Quelle belle question. Nora hausse ses épaules et Bijou aussi. Elle suivra. Docile.

Et Luben opte pour dehors. Suivi de Nora, tous sourires avec Bijou. C'était secrètement son envie. Dehors, le soleil est en train de s'endormir, laissant volontiers sa place à la lune, depuis le temps qu'il est levé, le courageux. Un chouette de dégradé bleu-rosé s'étend au dessus d'eux, et par endroit, le ciel dégueule des nuages cotonneux sous lesquels la lune joue à cache-cache. Mais Nora ne dit pas ça. Nora dit « c'est joli ». Elle s'exclame en souriant.

Ils sont assis face à face, le plateau entre eux. Et quel plateau. C'est une montagne de frites et de burgers, l'Everest de MacDonald. Nora sort l'iPhone qui lui sert de téléphone, d'appareil photo, de bloc notes et d'ordinateur, cadre leur repas (avec un petit Luben entre deux frites). Aussitôt dit, aussitôt instagramé. Elle sourit, ravie de ce à quoi le bonheur tient - rien - et commence à départager. Elle ramène ses frites et ses burgers variés à elle, les regarde avec envie.

Ne sachant pas vraiment par où commencer.

Elle décide de commencer par le garçon, en face d'elle. Le joli Luben, son beau meilleur ami de date. Et en même temps qu'elle déballe un double cheese : - Alors tu me présentes quand ta petite amie ? Humour. Avec le sourire.

« Aaaaah. » Luben sourit tendrement en comprenant qui est ce fameux Bijou. L'ourson, c'est lui Bijou. Et Nora, elle le sert tout contre elle comme une enfant. Il craque pour la belle, Luben. Complètement. Pas comme un amoureux, ah ça non, jamais. Mais sa Nora, elle est parfaite à ses yeux. C'est à se méprendre. Combien de fois on a pu lui demander s'il était amoureux de la petite Nora. Combien de fois il a répondu oui, mais pas comme tu crois. Et combien de fois les gens n'ont pas su comprendre ce qui liait les deux adolescents.

Luben a dragué, Luben a gagné. Quatre nuggets gratuites attendent sagement d'être mangées dans leur petite boîte de carton. Et Luben maintenant, il a plus qu'une envie, se faire pardonner auprès de Nora. Parce qu'il l'a laissé de côté l'espace de quelques minutes, le temps de la commande, le temps de faire son petit manège. Alors les nuggets, il va les partager. Comme le reste d'ailleurs. Les frites, les potatoes. Elle pourrait même croquer dans son big mac si l'envie lui prenait d'y goûter.
Il demande à Nora où elle souhaite s'installer et celle-ci lui répond qu'elle le suivra. Tu ne m'aides pas vraiment là, Nora. Il grogne un peu, réfléchit trop peu de temps et se dirige vers la porte de sortie. Il fait trop chaud à l'intérieur. On étoufferait presque. Entre le sel, la graisse et les fourneaux.
Dehors le soleil se prépare à aller dormir et le ciel prend une teinte rosée des plus poétiques. « c'est joli » Luben lève un peu plus les yeux au ciel. C'est vrai que c'est beau, elle a raison Nora. Il hoche la tête en laissant s'échapper un faible « oui ».

Luben dépose le plateau sur une table entre Nora et lui. Il fera exprès de choisir la table qui leur permettra d'observer le coucher du soleil, tous les deux. Aucun d'eux ne se retrouvera dos au spectacle. Pour apprécier ce moment passé ensemble jusqu'au bout, du bonheur de se retrouver en passant par les frites savourées et les nuages dans le ciel.
Nora sort son Iphone. Instamoment. Luben tire la langue comme un demeuré. Il grimace et sourit avec ses yeux. Le ridicule ne tue pas, surtout pas Luben. Il aurait rendu l'âme il y a bien trop longtemps. Photo prise, envoyée. Et il rit un peu avec Nora. Il est heureux Luben.

Nora départage leur repas et il dépose son ice-tea devant elle. Il prend son coca, sa paille et parce qu'il ne sait faire que ça, une connerie lui vient à l'esprit. Il observe les personnes autour de lui à la recherche d'une victime. Trouvée. Il arrache l'extrémité du papier qui protège sa paille et vise un brun, pas plus vieux que lui, assis près de ce qui ressemble à sa petite amie. Il sourit déjà. Il se concentre pour ne pas sourire, parce qu'autrement c'est impossible de souffler, et pouf, la paille s'envole droit dans l'arrière de la tête du gosse. Luben se retient de rire alors que l'autre se retourne rapidement, se demandant sans doute quel est le con qui a osé lui faire une chose pareil. Luben plante rapidement sa paille dans son coca, l'air de rien et fait semblant d'être en plein dans une conversation avec Nora, à base de « bah oui, évidemment, non mais cherches pas, il est con de toute façon ». Un gamin qui a suivit toute la scène pas très loin se bidonne comme jamais et Luben rit aussi, alors que l'autre s'est retourné vers son repas, en grognant.
Il tend une paille à Nora, encore tout sourire. Nora, le petit ange, va-t-elle oser embêter encore le jeune couple ?

Il boit une gorgée et sourit. « Voyons Nono, tu sais qu'il n'y a que toi. C'est toi mon amoureuse. » Il lui offre un clin d’œil. Elle le connaît, elle sait très bien qu'il n'est pas du genre à se poser avec quelqu'un. Elle sait comment ça s'est passé lorsqu'il est tombé amoureux d'Ebba, elle sait qu'il ne veut pas que cela se reproduise. « Et toi ? C'en es où avec Saïd ? » Parce que même s'il en un peu peur de Saïd, même s'il n'est pas son meilleur ami, il veut savoir comment vas Nora. Il veut savoir comment ça évolue. Ce n'est pas de la curiosité, il s'inquiète un peu, peut-être. Il a dis ça en souriant, pour montrer à Nora que s'il pose cette question, ce n'est pas pour la blâmer. Mais il est son meilleur ami et il s'intéresse à elle. Il déballe son wrap et croque franchement dedans, retirant en une bouchée, le tiers du roulé. Bon dieu que c'est bon ces p'tites choses.

Il a, comme toujours, un grand sourire dans les yeux. Ça pétille de joie dans ses prunelles, et dans les jours où Saïd lui fait beaucoup de mal, elle aimerait lui demander le secret, celui du bonheur éternel. Peut-être que c'est la gaminerie. Sa manie à faire l'enfant. Elle hausse les épaules, pour elle-même. Ma petite Nora, le bonheur ça s'analyse pas, enfin tu le sais bien, quand t'as cette étincelle dans les yeux après avoir fait du shopping avec Saïd, tu peux juste pas l'expliquer.

Elle baisse les yeux vers son repas, c'est qu'il y a l'embarras du choix et elle sait pas quoi choisir pour commencer. Bon, elle ferme les yeux et quand elle les rouvre, ils se sont posés sur un double cheese. Soit, ce sera un double cheese pour commencer. Elle sourit. Inconsciemment, c'est lui, qu'elle voulait. Mais elle a préféré laisser l'Univers faire son travail. Docile. Et Luben, Luben il ne mange pas ses nuggets tant mérités, Luben il fanfaronne, il s'amuse, il envoie des pailles sur les gens. Luben, il la fait rire.

Et vous savez comment elle est, Nora, quand elle rit. Elle est plus la secrétaire concon, l'ancienne pom-pom girl, le cliché américain. Nora, quand elle sourit, elle est tellement plus. Mais quand même, elle s'autorise une remontrance, une petite bouche ouverte, effarée, effarouchée, un regard un peu méchant à l'attention de Luben, le regard il dit : you did NOT. Oh, si, il l'a fait, et à la façon innocente dont il lui tend une paille, il suggère qu'elle le suive dans ses bêtises.

Soudain moins docile, elle plante la paille dans son ice tea, et c'est tout.

Et puis, il se décide à se joindre à la conversation d'adulte qu'elle essaie d'avoir avec lui. Mais, toujours, l'ironie dans sa réponse. - Voyons Nono, tu sais qu'il n'y a que toi. C'est toi mon amoureuse. Elle sourit à son verre en carton, pour lui. Oh, sans Saïd, Brad, elle l'aurait aimé. Ça lui aurait fait du mal, lui qui jouait avec les filles et qui a fini par en aimer une autre, une Ebba, une jolie Ebba. Mais, c'est pas si faux, au final, il y a qu'elle. Elle le savait bien, Nora, en posant la question, qu'il avait pas de chérie.

- Et toi ? C'en es où avec Saïd ? La question qu'il se garde souvent de lui poser pour ne pas la froisser. La question qu'il pose une fois par mois, à peu près, pour se tenir au courant. La question, il aurait du la poser demain, après-demain, ou hier, mais aujourd'hui, elle peut juste pas. Elle explose. À sa façon : ça veut dire que ça dure, oh, dix secondes, c'est des larmes partout, jusque sur les genoux et dans les chaussures, et puis ça s'arrête aussi vite que ça a commencé.

Il reste le goût salé des larmes sur son visage, et c'est tout.

Le sourire de façade qu'elle réserve à tout le monde, même à Luben, il revient, en grandes pompes. Elle ne dit rien, Nora, elle aurait la voix qui tremblerait, alors pour se donner une consistance, elle prend la paille. La paille. Elle aspire les quelques gouttes coincées dans le plastique. Et elle souffle dans le tube, il vole un instant et s'écrase contre le crâne du même brun, précédemment attaqué par Luben. Elle est pas très maligne, Nora. Et quand le brun se retourne, elle le regarde toujours.

- Oh, pardon, qu'elle s'excuse. Elle se tourne vers Luben, elle espère qu'il a déjà oublié les larmes, et elle le regarde l'air de dire, je suis moins douée que toi pour shooter les gens avec des pailles macdo.

Luben rit. Il rit avec Nora de cet emballage de paille qui vient d’atterrir sur le sol après avoir tapé le dos de la tête du garçon. Il rit en revoyant les yeux surpris de Nora, son air de petite maman qui essaie désespérément d'éduquer ses enfants. Et il l'a fait, il a osé. Malgré les gros yeux de maman Nora. Tu crois pas qu'il est trop tard pour refaire mon éducation, Nono ?
Elle, elle est restée sage, calme. Elle a laissé le couple tranquille. T'es trop gentille Nora.

Nora sourit. Luben ne ment pas tout à fait lorsqu'il dit qu'il n'y a qu'elle, qu'elle est son amoureuse. Nora est la seule qui l'ait suivi autant de temps. C'est la seule qui même après quatre ans à le supporter ne semble pas encore décidée à l'abandonner. Nora c'est l'amoureuse de Luben, à sa façon, pour rire. Parce qu'on leur a souvent dis qu'ils feraient un parfait petit couple et qu'ils en ont souvent ris. Parce qu'ils savent aussi bien l'un que l'autre qu'il n'y aura jamais rien de plus que cette amitié parfaite entre eux, cette complicité et cet amour presque fraternel. Parce que Luben pense que ça ne pourrait pas être autrement entre elle et lui. Parce qu'il se dit que ça n'aurait pas marché s'ils avaient essayés d'être plus que des amis. Parce que Luben n'est pas le genre de Nora, elle préfère les Saïd.

Et puis Luben fait la boulette. Il parle de Saïd et ce qu'il redoutait se produit. Sa Nora fond en larme devant lui. Luben s'en veut. Il s'en mord les doigts. Il est là, il ouvre de grands yeux et une boule vient se loger dans son ventre. Il se lève et vient s’asseoir près d'elle. « Viens là.. » Il la prend dans ses bras, il la sert fort contre lui. Il la berce un peu pour qu'elle se calme. Il déteste ça. Il déteste la voir pleurer comme ça. Il voudrait attraper Saïd et l'installer devant Nora, lui dire tu vois ce que tu lui fais ? Tu vois comme elle pleure pour toi ? Alors si tu l'aimes, si tu l'aimes vraiment. Fais en sorte qu'elle ne se mette plus dans ces états, pas pour toi. Mais Saïd n'est pas là. Il lui en veut. Puis il s'en veut à lui aussi. Il n'aurait sans doute pas dû aborder le sujet là, pas alors que tout se passait si bien. Mais quand alors ? Luben passe un doigt sur les joues de Nora. Sèches tes larmes Nora, mon cœur craque quand il te voit comme ça.
Elle obéit, les larmes cessent de couler. Elle sourit même. Luben la regarde avec un air triste. Il sait qu'elle se cache derrière ce joli sourire. Il aimerait qu'elle ne le fasse pas, pas devant lui. Il aimerait qu'elle ne lui cache rien, qu'elle n'ait plus de secret pour lui. Il pourrait l'aider. Il la regarde lancer sa paille sur l'homme attaqué par Luben quelques minutes plus tôt. Il suit la trajectoire de la paille jusqu'à voir le regard mauvais du garçon. Luben le fixe, impassible. Il espère que l'autre ne viendra pas. Nora n'a pas besoin de ça. Et il ne le fait pas, il a dû voir que la petite Nora n'allait pas bien. Alors il râle et se retourne.

Elle lève ses jolies yeux vers Luben. Un ange. Ils se regardent en silence pendant quelques secondes et il brise la glace. « Nora.. parles moi, dis moi ce qui va pas. Arrêtes de sourire pour faire plaisir aux gens, souris pour toi, parce que t'en as envie. Je te connais Nora.. J'aime pas te voir comme ça, tu le sais. » Il ne la lâche pas, il la garde tout contre lui, au chaud entre ses bras. Comme si, en quelques mots, quelques larmes, l'air s'était fait plus froid, plus agressif. Comme si Nora était devenue soudain trop fragile pour se défendre de tout. De l'air. Des gens. De l'Univers. De Saïd.