Devon et Loan
« Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre
où chacun doit jouer son rôle »

Loan remit en ordre ses cheveux dorés en bataille à cause du vent qui était venu les secouer doucement, dérangeant quelques mèches blondes de sa coiffure encore ordonnée le matin même. Elle embrassait la rue d'un regard distrait tout en souriant doucement. Elle portait une jupe blanche en coton légère avec une paire de collants gris en dessous, son gilet en laine aux motifs colorés tombaient gracieusement sur les courbes fines de ses hanches et en dessous une chemise blanche aux deux premiers boutons ouverts laissaient entrevoir la peau claire de son cou. Les pans de la jupe se balançaient au rythme de ses pas pressées, ses semelles claquaient sur les pavés. Au milieu des autres petites boutiques de la rue, l'enseigne du Morning Coffee se détachait des autres, c'était justement l'endroit où Loan voulait se rendre. Elle entra, poussant de sa main droite la porte vitrée de l'établissement. La tiédeur de l'intérieur simple était agréable et l'enveloppa entièrement, la blondinette se sentit mieux une fois réchauffée. Depuis quelques mois déjà une idée lui trottait dans l'esprit, surgissant de temps à autres, pour rappeler à Loan que cette dernière avait des projets, un peu d'espoir et de rêve.
Son professeur de théâtre, Britney, était une femme pleine d'ambition et elle donnait à la jolie blonde envie d'être aussi ambitieuse qu'elle. Une graine d'idée avait commencé à germer dans sa tête, cette idée était simplement une envie constante de créer quelque chose soit-même. Les rôles qu'elle avait interprété était souvent les principaux, elle était heureuse mais voulait plus. Loan ne convoitait pas la célébrité et n'avait pas constamment besoin d'être applaudie ou d'avoir de la reconnaissance, elle voulait simplement réaliser un projet auquel elle n'avait jusqu'à quelques mois jamais pensé. Créer sa propre pièce à elle, pour cela il lui fallait beaucoup de fonds, de personnes et de temps, ce qu'elle n'avait pas car elle avait déjà la troupe de théâtre et son métier d'illustratrice, ainsi que ses visites régulières à l'hôpital pour voir sa génitrice. Mais elle comptait bien mettre à bien ce projet.

Elle regarda distraitement le café dans l'espoir de dénicher avec un coup de chance une place assise à une petite table isolée. Autrement elle allait devoir s'accouder au bar à côté d'autres personnes en train de siroter des boissons alcoolisées. Elle, pour sa part, elle voulait uniquement boire un petit café après une journée entière consacrée à la coloration d'une campagne de publicité pour une collection de mode pour le printemps. L'affiche représentait une jeune femme habillée d'une des tenues composées récemment pour la saison, en toute simplicité. Son regard se posa sur une petite table ronde légèrement dissimulée dans un coin de la pièce emplie de bruits et d'éclats de voix. Loan s'assit sur la chaise de bois et posa son sac à main à ses pieds. Elle plongea une main dans son sac et en ressortit son cahier de croquis, plein à craquer de feuilles volantes en plus et tâché par diverses sortes de peintures. «Un café frappé s'il vous plaît.» dit-elle en s'adressant à la serveuse longiligne qui se dressait devant elle, son bloc-note serré entre ses doigts osseux. Le stylo bougea précipitamment sur la feuille blanche puis la jeune femme tourna les talons. Loan commença à esquisser à grands traits la silhouette de la vendeuse de dos, essayant de décrire du mieux qu'elle pouvait la taille de guêpes de l'employée. L'illustratrice se plongea pleinement dans son travail, concentrée, le front légèrement plissée et les sourcils froncés. Un petit bruit la sortit de sa bulle et elle vit la tasse de café frappé fumante qu'on lui avait servit, en évidence devant elle. Elle releva la tête tout en posant sa main sur la hanse de la tasse, portant le récipient à ses lèvres roses, colorées par une légère couche discrète de rouge à lèvre. Son regard se promena sur le monde qui peuplait le Morning Coffee, ses yeux se posèrent sur une figure connue. C'était celle d'un présentateur qui passait régulièrement à la télévision. Aussitôt, son idée et cette figure célèbre se lièrent et se présentèrent comme une évidence.

La demoiselle à la chevelure dorée se précipita vers la table où l'homme sirotait un café. Sa main souleva rapidement sa tasse et elle vint s'asseoir à côté de lui avec une désinvolture qui pouvait paraître étrange. «Bonjour, je m'appelle Loan.» déclara-t-elle avec douceur. Ses yeux se posèrent sur l'homme qui, évidemment, ne la connaissait pas. Elle toussota légèrement, ce présentateur parlait régulièrement des comédies musicales, parfois de ses représentations, mais ce n'était pas pour autant qu'il se rappelait de son visage, mais sa connaissance des évènements théâtraux prouvait qu'il avait une certaine expérience et la rumeur courait qu'il avait fait un tour à Broadway dans sa carrière artistique. «Je suis comédienne et illustratrice. J'ai jouée dans la pièce «Bérénice» de Racine interprétée par la troupe de comédiens du théâtre de la vieille ville.» dit-elle, essayant de venir au point qu'elle voulait atteindre le plus vite possible. Elle voulait juste qu'il voit à peu près qui elle était. «J'interprétait Bérénice, vous avez parlé un peu de la pièce dans le JT du mois dernier, je ne sais pas si vous vous souvenez.» articula-t-elle, tentant d'éclairer un peu le jeune homme. Elle lui sourit et eut un petit rire léger avant de prendre une gorgée de café frappé. «Je sais, ça doit te paraître bizarre que je vienne te parler, mais en fait j'aimerais vous parler.» bredouilla-t-elle, manquant légèrement d'assurance. «En fait ça va sans doute vous paraître vraiment, vraiment, bizarre, mais c'est assez important.» dit-elle en tapotant avec ses doigts la table.