16h00 – Une vieille, salle, habitude. Cigarette. Plantée au bec, par pur soucis de rébellion on départ, bel et bien devenue une addiction. Merde. Du goudron rentrait dans mes poumons et je ne voulais rien faire contre. Parce que c’était céder à la pression, aux ordres que me donnaient me « proches ». Arrête de fumer, ca va te tuer ! Oui, merci. Et alors ? Autre chose ? Il faut bien mourir un jour, non ? Autant qu’ca soit avec plaisir ! Mes talons claquent sur le sol, mon souffle se perd dans le vent, cachée derrière une grosse paire de lunettes noires, Gucci, merci papa. Ah ! J’l’aperçois enfin. La bibliothèque. Odeur de poussière, vieux livres. Pur bonheur.

16h23 – « On joue pas avec les livres Greg ! » Un sermon étouffé par la stricte consigne. Pas de cris dans les rayons. Pas de cris, peu importe le moment, peu importe la raison : pas de cris. « Pose ca ! Ce n’est pas à toi ! » La jeune femme essaye d’attraper son enfant, blond de cheveux, il rie, il rie à s’en décrocher la mâchoire, et il s’enfuit. Je crois qu’il y a quelques années, une rencontre comme celle-ci m’aurait arraché un sourire, mince, cynique, mais un sourire quand même. Et pourtant. C’était avant, bien avant. Foutu certificat de divorce. Je referme sèchement le code pénal américain, reculant, faisant crisser la chaise dans un horrible bruit qui coupa court les rires du gamin. A présent assis devant les encyclopédies universelles, il me jette un regard interloqué. Drôle de constater que j’ai bien plus d’autorité que sa propre mère. Enfin peut être que c’est pas sa mère… « C’est votre mioche ? » Voix glaciale servie d’un regard dédaigneux. J’attrape mon sac, le passe à l’épaule, range le livre dans l’un des rayons, soulevant la poussière, j’ai plus rien à foutre là. Je déteste les enfants, j’les exècre, j’les abhorre. « Désolée. » J’en rêvais, pourtant, à un moment. Elle hoche la tête. Regard noire à la mère de Greg, sourire poli à la bibliothécaire, je claque la porte derrière moi.

16h35 – « Joue pas à ca avec moi, Kate ! » Ils s’étaient tous donné le mot ma parole ! Je claque la porte, encore, un bar bien trop bondé pour moi, une dispute de couple ? Trop pour moi. Putain. J’ai pas de bol aujourd’hui. Sortir, sortir, dégager. Les ennuis des autres me poursuivent. Ah ! Un grand sourire planté sur le visage impeccable d’une blondasse à talons. J’ai jamais eu l’plaisir d’être grande. Tant pis, j’ai les neurones qui sont dans leurs gambettes de trois mètres. Beauté glacée perchée sur dix centimètres de talons. Mais alors que je m’apprête à faire une remarque acerbe, ponctuée de pas mal de mots censurés, c’est comme si mes cellules se mettaient à réagir soudainement. Je suis attirée par cette personne. Attendez, j’divague, non, non j’suis pas attirée par cette personne, faut pas rêver, j’suis pas non plus désespérée à ce point. Enfin j’respecte quoi, mais très peu pour moi. Y a un truc chez elle, un truc que j’reconnais, c’est sûr. L’odeur du cappuccino qu’elle tient entre ses doigts, ses fossettes, sa chevelure… Evangelin ? C’pas possible, nan, nan, pas elle, pas ici. Merde.

Je m'étais levée tôt ce matin là. J'ai pris mon appareil photo et quelques affaires, et je suis partie de chez moi. C'est devenu une habitude. J'aime me lever tôt, avoir le monde pour moi toute seule. Je suis allée un peu partout, je n'ai pas vraiment regardé à vrai dire. J'ai laissé mes pas me guider où bon leur semblaient. Ils font ce qu'ils veulent. Moi, je prends des photos. De gens, de choses. De tout ce que j'ai envie de retenir mais dont je sais que je n'y arriverai pas.

Je me suis arrêtée à un bar-restaurant ou quelque chose du genre pour manger quelque chose. Il y avait beaucoup de monde. Trop de monde. Pas assez d'espace. Pas un truc pour moi. Les gens se bousculaient, il devait être un peu plus d'une heure et la petite pièce était pleine à craquer de gens qui hurlaient pour se faire entendre dans tout ce brouhaha. Je déteste ce genre d'atmosphère. Mais bon, j'ai faim, et mon ventre n'attends pas.

J'ai commandé une crêpe salée au fromage. Le seul truc convenable à manger. Les autres noms ne m'inspiraient pas trop. Mon précieux repas enfin entre mes mains, je cherchais une table mais toutes étaient occupées. Un homme, assis près du comptoir me remarqua. Il avait un sourire aux lèvres, un sourire qu'on les gens stupides qui vous regardent avec un air stupide en faisant exprès d'être encore plus stupide qu'ils ne le sont à l'ordinaire. Tu vois de quel air je veux parler.

- hé, mam'zelle, vous..., commença-t-il.

- La ferme.

Le mec me regarda avec un air ébahit. Quel imbécile.
Je sorti du bar-restaurant et continua mon après-midi à vagabonder dans les rues, plus ou moins peuplées. Je pris un café et alla m'installer sur un banc. Un gamin jouait devant moi, dans la foule. Personne ne le remarquait. Il était seul, pourtant. Où était sa mère? Cette question ne traversa mon esprit qu'une demi-seconde. Je m'en fiche, après tout. C'est pas mon gamin, et en plus, j'aime pas les gamins. Je n'ai rien contre eux. J'éprouve juste un certain mépris envers leur personne, ne me demandez pas pourquoi.

Mon café à la main, je me suis levée et je suis partie. Non. Je ne suis pas partie. A vrai dire, j'ai juste fait quelques mètres, car quelque chose derrière l'enfant avait attiré mon attention. Peu être ai-je juste rêvé. Peu-être était-ce juste une ombre. Mais pendant un moment, un moment complètement fou, j'ai cru voir...

Non.
C'est impossible.
Ce n'est pas elle.
Elle n'existe pas. Elle n'existe plus.
Dans un excès de folie, je relève les yeux.
Isabelle...
Que ce nom sonne étrangement à mes oreilles.

16h35 – Son regard se met à briller, j’sais pas de quelle manière. Joie ? Bonheur ? Non surement. Le point commun entre toutes les sœurs Holloway ? Leur capacité à oublier leur famille. Oui, oui, c’est un peu immoral dit comme ca, mais c’est pas vraiment quelque chose qu’on l’on cherche à garder de nous. Les parents, les sœurs, les cousins, les oncles et grandes tantes, pouah ! Non, non, notre truc à nous c’est la liberté. Ce qu’on dont on nous prive dès notre naissance. Peut être que c’est une marque de fabrique chez les Holloway ? Encore est-il que ses yeux se fixent sur moi un instant alors qu’elle n’est même pas sensée me reconnaitre. Que m’a-t-elle fait pour que j’veuille autant m’en débarrasser ? La rayer de mon passé ? Elle a toujours été mon modèle, quelque part. J’voulais pas rester chez nos parents, alors quand elle est partie, j’rêvais de faire comme elle. C’est chose faite. Enfin. On a toutes les deux baissé les yeux je crois. Confrontation, choc des titans. Deux sœur Holloway dans la même rue, à quelques mètres l’une de l’autre, ca ne fait pas bon ménage. J’crois qu’une fois deux lointaines cousines en sont même venues aux mains après leurs retrouvailles…

16h36 – On reste là, à rien dire, à se regarder lorsque finalement on nous interpelle « Pardon ! » Sale mioche. J’lui lance un regard noir, j’espère que ca suffira. Mes trottoirs sont étroits mais il est pas non plus obèse ?! A contre cœur il me contourne, passer sur la route et continue son chemin. Il part, le regard agacé de sa mère, nourrice, ou autre chose, toujours braqué sur moi. Ou comment se mettre plein de femmes pleines d’hormones maternelles à dos. Mais j’ai pas le temps de penser à ca.

16h37 – On bouche toujours le chemin, elle et moi. On s’est toujours parlé. Pourquoi de toute manière ? Ca nous fait quoi ? Alors je lance la première attaque. Un sourire. Carnassier, faux, risible. Mais ne suis-je pas moi-même carnassière, fausse et risible ? Mon caractère n’a rien d’enviable, je le sais. Mais c’est mieux que rien. C’est bon elle le sait. Je l’ai reconnue. Elle aussi, je pense. Vaudrait mieux. A elle de venir, c’est bon. Signe de la tête, je relève discrètement le menton pour lui prouver que je sais qui elle est. Si elle ne comprend pas, j’sais pas mais y a un problème, c’est clair. Mais j’crois pas qu’on puisse s’ignorer encore longtemps. Merde mon cœur bat encore plus fort que le jour de mon mariage. Pas mal grande sœur, pas mal.

Elle me sourit.

De cette façon dont elle seule en est capable. Avec un mélange de dédain et de mystère. Sans joie. C'est fou ce qu'elle ressemble à maman. Moi, je ressemble plus à mon père à ce qu'il paraît. C'est ce que disaient les amis de mes parents quand ils me voyaient parce qu'ils ne savaient pas quoi dire d'autre et que je les interrompais dans leur conversation importante de gens riches qui vous regardent de haut avec leurs airs de riches.

Je m'en fiche de ressembler à mon père ou à ma mère. Ce sont des imbéciles. Peu être qu'ils ne l'étaient pas avant ma naissance. J'en doute fort.

Qu'est ce qu'elle fou à Town Square, celle là? Elle avait mille endroits où aller. Et bien sûr, il faut qu'elle croise mon chemin. C'est une malédiction de famille, c'est ça? Putain. C'était vraiment la dernière personne au monde que je voulais voir, à laquelle je ne m’efforçai as de penser, et je la voit dans la rue avec ses lunettes de soleil, ses cheveux bruns ondulés qui flottent dans le vent, comme si elle tombait du ciel.

Je sais que ce sentiment est réciproque.
Sinon, elle ne m'aurai pas souri.

Je sais même pas ce qu'elle est devenue. C'est peu être une dealeuse qui viens vendre son tout dernier stock de LSD. Ou peu être qu'elle est mariée avec homme riche et blond, les cheveux impeccablement lisses et brillants, mère de trois gosses parfaits avec Rex le chien, comme dans ces publicités stupides qui montrent une famille heureuse et unie. Quelle horreur.
Haha. Rien que d'y penser, ça me fait rire. Isa, la p'tite rebelle de la famille Holloway, devenir un parfait exemple de mère épanouie avec un mari blond, nommé Jean-Eudes au passage.
La belle blague.

Un coup de vent balaya son visage, et pendant un moment, un moment très étrange, j'ai cru voir les traits de ma mère se dessiner sur le visage de ma soeur. Ma mère telle que je l'ai connue la dernière fois que je l'aie vue: vieille, usée et triste. Mais riche. Désespérément riche.

Je m'avance vers elle. Je recule dans mon passé. Je m'était jurée de ne plus repenser à ça. Enfin, ce n'est pas vraiment de ma faute... Si j'avais oublié mon appareil photo ce matin là et que j'avais pris cinq minutes pour retourner le chercher chez moi, je ne l'aurai pas croisée.
Je ne l'aurais peu être plus jamais croisée de ma vie.

Je continue à avancer. Ce visage si familier et pourtant plus inconnu que jamais apparait de plus en plus net devant moi. Je fini par me poster devant elle, comme si je l'avait quittée il y a 5 minutes et non pas il y a 5 ans.

Je la regarde encore quelques secondes. Si sa se trouve, c'est juste une fille que j'ai pris pour ma sœur et qui va me dire « bonjour, qui êtes vous? » et toute cette histoire sera réglée.

Je souris à mon tour. Un sourire aussi dénué de sens que le sien. Un sourire qui n'en ai pas un, parce nous, les Holloway, on sourit juste parce qu'on sait rien faire d'autre. Et on vous regarde avec un air supérieur, comme si vous étiez condamnés à être nos esclave tout le restant de votre misérable vie.

- Jolies lunettes.

Je ne lui dis rien d'autre.
Je n'ai jamais su quoi lui dire.

16h37 – Un sourire, une réponse implicite. Glaciale. Je sais à quoi m’en tenir, aussi chaleureux soit-il, un étirement des lèvres d’une Holloway cache toujours quelque chose. De mauvais, généralement. Elle n’est pas sincère, c’est pas possible. Je jouais distraitement avec une mèche de cheveux, détournant lentement le visage de ma sœur lorsqu’elle lançait finalement, brisant le silence pesant.

- Jolies lunettes.

Oui, oui, oui, jolies lunettes, jolies lunettes, c’était bien comme début de conversation mais pour deux sœurs qui ne se sont pas vues depuis un beau nombre d’années, c’est quand même moyen. Mes doigts se portent finalement aux bords laqués. Mouvement vif du poignet, sourire glacé, reflet de celui qu’on m’adresse. Je glisse lentement les lunettes le long de mon visage, sur le haut de mon crâne, amenant par la même occasion ma longue chevelure brune en arrière. Sourire de publicité pour dentifrice, encore, toujours, vieille habitude.

16h38 – Reflex compulsif, ma main se porte à la poche intérieure d’une veste encore plus chère que les lunettes. Vive les héritages ! Je glisse lentement mes doigts entre les mouchoirs et les chewing gums pour trouver mon petit bébé du jour. Tout beau, tout neuf. Paquet rouge et blanc, cartonné, contenant une bombe sanitaire à retardement. Sortant finalement la boite de son antre chaud, je lâchais d’une voix neutre :

- Merci.

Un mot, aussi glacial et insensé que le reste. Aucun intérêt du point de vue relationnel. Et pourtant c’est quelque chose que je lui ai jamais dit. Merci. Aussi anodin soit-il, les remerciements c’est pas mon truc, la gratitude, les dettes tout ca, c’est du grand n’importe quoi. On me donne quelque chose, j’ai rien à rendre en échange, je vaux mieux que ca.

16h39 – Un bâtonnet de tabac appelle mes doigts qui ne savent résister. Briquet dans une main, cigarette dans l’autre, mes lèvres se referment sur cette dernière, la coinçant alors que mes cheveux se soulèvent autour de moi, le vent se faisant de plus en plus présent. Fichtre. Portant finalement le feu à quelques millimètres de mon épiderme, j’enflamme l’extrémité blanche, inspire longuement, recrache. Mes muscles se détendent. C’est magique.

- T’en veux une ?

Proposition pouvant être prise pour une atteinte à la pudeur, un homicide volontaire, fratricide, présentement. Peu importe je ne connais plus cette personne depuis longtemps.