Une fois de plus, Sam était en retard. Aubrey aurait dût s'y attendre, il faut dire qu'elle avait tout de même plus de vingt quatre ans d'expérience. Le jour où sa petite sœur arriverait à l'heure à un rendez-vous, il allait se mettre à pleuvoir des éléphants roses à pois bleu. Les poules auraient des dents. Le lièvre gagnerait contre la tortue. Bref, le monde ne tournerait plus rond. Avec un soupir à fendre l'âme, Aubrey fit tourner sa cuillère dans son café crème. Elle était ici depuis exactement une demi-heure, une demi-heure à regarder d'un air inexpressif par la fenêtre en touillant sa boisson. C'était tellement typique de Sam. Parfois, Aubrey en venait à se demander si elle ne faisait pas exprès de la faire patienter pendant des heures juste pour la rendre dingue. Ca n'aurait pas été si étonnant que ça. Et puis, si c'était le cas, ça fonctionnait très bien. Lorsqu'elle but sa toute première gorgée de café et réalisa qu'il était déjà tiède, elle retint à grande peine un grognement de rage. Elle extirpa son téléphone d'une main agile de son sac à main et rédigea à toute vitesse un message à l'intention de sa soeur, les sourcils froncés par la concentration et l'agacement. Pile au moment où elle s'apprêtait à appuyer sur le bouton « ENTRER », la porte du bar s'ouvrit en grand fracas. C'était Sam, et instantanément, tous les regards convergèrent vers elle. Il fallait dire que sa petite soeur était plutôt mignonne. Carrément adorable, il fallait le dire, même si aujourd'hui elle semblait passablement grognon. Des cernes légères se dessinaient sous ses yeux. « T'as de la chance », lâcha Aubrey en haussant un sourcil dans sa direction tandis que Sam se laissait tomber sur la chaise en face d'elle. « T'étais vraiment à deux doigts de recevoir un message très vulgaire avec beaucoup de points d'exclamations et de noms d'oiseaux. Franchement Sam, t'exagère, je t'attends depuis une demi-heure. » Elle se pencha vers sa soeur et déposa un baiser sur sa joue, puis se redressa sur la banquette pour la toiser. « Laisse moi deviner... t'as encore passé la matinée à roupiller, c'est ça ? »

Si il y avait bien une chose à laquelle Sam n’avait pas pensé hier soir lorsqu’elle avait accepté de sortir après les cours, c’était bien à sa journée du lendemain. Il avait suffi d’un simple « aller viens, c’est juste un petit truc, on rentre pas tard ! » pour que la jeune femme oublie tout ce qu’elle avait à faire le jour d’après et se laisse entraîner. Et jusqu’au bout de la nuit. Résultat ce matin, quand elle s’était finalement réveillée, il était plus de midi passé et elle avait un sacré mal de tête, ainsi que des cernes. Bien sûr, l’un n'allait jamais sans l’autre avec elle. Elle avait pris une bonne douche puis une aspirine, et c’était lorsqu’elle avait allumé son téléphone que –oh merde !- le souvenir du rendez-vous avec sa sœur lui revenait en tête. « Mais quelle imbécile ! » Sam allait encore être en retard, pour changer, parce qu’il lui était impossible de finir de se préparer en moins de cinq minutes. Bon, tant pis. Décidément la journée commençait bien.  
Et puis maintenant c'était son chat qui s'y mettait, à miauler parce qu'il avait faim. « Oh Sam tu permets ? Je suis légèrement occupée là ! » Faisait-elle remarquer à l’animal alors qu’elle terminait de se maquiller devant le miroir de l’entrée. Aubrey allait la tuer, elle pouvait déjà imaginer la scène. Mais c’était pareil depuis toujours, alors une fois de plus… C’était pas non plus la mort. Si ?

Finalement prête, dix bonnes minutes plus tard, la brune pouvait enfin attraper son sac et sortir de son appartement, sans oublier de nourrir son chat qui ne cessait de se frotter à ses jambes en miaulant à tout va. Sam dévalait à présent les escaliers pour rapidement se retrouver à l’extérieur, marchant aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient. Elle avait une bonne demi-heure de retard là. Et puis elle le vit, et si elle n’était pas d’humeur aussi maussade avec en plus un mal de tête toujours légèrement présent, Sam aurait presque pu pousser un cri de joie. Oh bien sûr d’habitude, la brune aimait bien faire enrager sa sœur en faisant exprès d’être en retard, mais aujourd’hui ce n’était pas le cas et sa bonne humeur naturelle en pâtissait, énormément.

« T'as de la chance » Entendait-elle Aubrey dire une fois entrée dans le bar où elles avaient rendez-vous, se laissant tomber sur la chaise en face de la blonde. Sam se contenta alors d’hausser les épaules et de soupirer un peu avant de poser une main sur sa bouche pour bailler tout doucement. « T'étais vraiment à deux doigts de recevoir un message très vulgaire avec beaucoup de points d'exclamations et de noms d'oiseaux. Franchement Sam, t'exagère, je t'attends depuis une demi-heure. » Malgré tout, la jeune femme ne put s’empêcher de lâcher un léger rire. Et voilà, qu’avait-elle dit ? C’était sûr qu’Aubrey allait réagir de cette manière, elle la connaissait par cœur. « Je sais... Bonjour à toi aussi chère sœur. » Elle esquissa un sourire lorsque cette dernière embrassa sa joue puis se défit de son sac qu’elle accrocha à sa chaise. « Laisse moi deviner... t'as encore passé la matinée à roupiller, c'est ça ? » Elle aussi la connaissait sur le bout des doigts. Sam hocha positivement la tête et héla un serveur qui passait par là pour lui demander de lui apporter un bon café bien corsé. Elle n’en prenait quasiment jamais, mais là il lui fallait quelque chose qui l'aiderait à se réveiller. « J’avais complétement zappé ! Et j’avais pas de réveil, et j’étais trop bien dans mon lit… Je suis désolée c’est pas ma faute cette fois, j’ai juste… Pouf, oublié. » Nouveau haussement d’épaules de la part de Sam avec en plus un petit sourire enjôleur adressé tout spécialement à sa grande sœur pour espérer se faire pardonner. « J’espère que t’avais rien d’important prévu après, je voudrais pas que tu sois en retard par ma faute. Sinon, ça va toi ? »