My life
Cette question était un peu plus compliquée, il devait l’avouer. Autant il avait réussi à répondre aux autres de manière plus ou moins clair, autant celle-là le laissait complètement coi.
Il savait qu’il aurait pu évoquer n'importe quoi, comme parler de la pluie, du beau temps, des petits gâteaux et de leurs temps de cuisson mais, étrangement, il n’arrivait même pas à parler de sujets aussi banals. Peut-être parce que cette question "racontez-moi votre vie", ne laissait que peu de place au doute.
Il se contenta alors de rester silencieux, finissant par se balancer sur la chaise avant d’attraper l’un des stylos du docteur pour le faire tourner entre ses doigts. Ce dernier resta extrêmement droit, attendant sa réponse alors que le jeune homme commençait à oublier complètement son existence.
Il n’avait pas envie de parler de son histoire. Pas parce qu’il avait des trucs à cacher, mais plutôt parce qu’il pensait que son passé ne regardait que lui. Et que ce n’était que des bases pour son avenir. Jayleen, sa grande sœur et son modèle, lui avait appris que la vie ne se conjuguait qu’au présent et qu’il ne fallait pas ressasser le passer. Et c’était ce qu’il s’attelait à faire depuis CE jour.
Depuis le départ de son frère. Pas celui d’Aiden, mais celui de son autre frère, celui qu’il avait barré de son cercle familial et dont il ne voulait même pas citer le nom.
Certes, la perte d’Aiden avait été un gros coup dur pour toute la famille –plus qu’un parent, ils avaient au moins tous perdu un père, un meilleur ami, un confident… Bryan n’en était pas exclu, même s’il avait toujours été plus proche de ses sœurs que de ses frères.
Oui, TOUJOURS. Jamais il n’aurait pu être proche au moins une fois de
celui-qui-était-partit.
Enfin… Même s’il se plaisait à le dire –ou à le penser- c’était bel et bien le départ de son autre frère qui l’avait bouleversé. Ils les avaient abandonnés, comme si… Comme s’ils n’avaient pas eu d’importance, comme si leurs liens ne signifiaient rien.
Alors il avait fait comme tout le reste. Il n’en avait pas parlé. Il avait fait le deuil d’Aiden et de ce frère et il avait continué à aller de l’avant.
- Vous disiez tout à l’heure que vous pensiez ne pas être un très bon mari ni un très bon père. Est-ce à cause de votre propension à vivre dans le présent ?
Non. Et oui en même temps. Il avait surtout peur de s’engager. Il n’avait juste pas envie de ressembler à son connard de père et son incapable de mère.
Il ne répondit cependant pas à la question du médecin et fit tourner adroitement son stylo dans ses mains, sans faire attention. Puis il pensa à ce qu’il aimerait manger ce soir. Sans doute des féculents. Il avait envie d’une grosse plâtrée de pâtes avec de la sauce bolognaise.
- On m’a dit que vous étiez allé au Colorado pour vos 20 ans. Est-ce vrai ?
Voilà quelque chose dont il avait encore moins envie de parler. Même Jayleen ne lui avait rien soutiré à ce propos. Il finit par poser le stylo sur le bureau pour jouer avec avant de regarder le médecin.
- Sérieux, vous ne pouvez pas arrêter de me cuisiner là-dessus ? Finit-il par demander.
Il n’avait certainement pas envie qu’on lui rappelle cette histoire. Il fut un temps où, avec un de ses potes, ils étaient partis dans le Colorado pour monter une entreprise. L’idée était nouvelle et innovante et permettait à de nombreux animaux errants de trouver une famille.
Et puis un môme et une gonzesse se sont infiltrés entre les deux amis. Et il a fallu « revenir dans la vraie vie ». Fin de l’histoire.
Il en avait assez honte comme ça, ce n’était pas la peine d’en rajouter. Il avait fait le « deuil » de ce projet et il était passé à autre chose maintenant.
- Je pense au contraire que parler vous aidera à vous sentir plus libre. C’est important Mr Harrington. Vous n’arrivez pas à parler de votre jeunesse ou même de ce voyage. Y a-t-il seulement quelqu’un qui sait ce que vous ressentez, tout au fond de vous ?
Bryan fronça les sourcils et finit par ranger son stylo pour lisser le bureau du médecin. Touché, coulé. Connerie de psy.
- Là, je ressens une profonde envie de me casser, lui dit-il simplement avec un sourire poli bien que crispé. J’ai autre chose à faire que de me faire décortiquer le cerveau à coup de Freud et de pulsion sexuelle enfantine.
Il saisit la main du médecin pour la serrer et prit le chemin de la sortie, un peu irrité envers le professionnel.
- Pensez à tout ça, Mr Harrington. Je pense que…
Il ne le laissa pas finir et claqua la porte avant de soupirer. Il savait bien que c’était une mauvaise idée d’y aller. Il l’avait même su dès le départ. Il sortit alors son casque, mit la musique et s’isola un peu. Puis il envoya un texto rapidement avant de sortir du bâtiment pour rentrer chez lui.
Journée de merde, aujourd’hui.
Les liens
Matheo L. Harrington« Si je mets ce bocal, j'ai l'air d'un astronaute ? » S'il mettait ce bocal, pouvait-il aller sur la lune ? Enfant, il avait sincèrement pensé qu'en capturant l'oxygène à l'intérieur du bocal, il pouvait même aller visiter l'univers entier. Il fallait juste garder l'air à l'intérieur.
Bon, à y repenser, c'était débile. Il mit alors le bocal sentant rapidement l'air se raréfier et la chaleur se faire plus présente. Pourtant, ce fut avec un grand sourire qu'il se tourna vers Matheo pour lui montrer à quel point il avait la classe maintenant. « On dit astronaute banane et ouais... Ouais t'as l'air d'un astronaute avec un bocal à poisson sur la tête. » Bryan fit une petite moue. Non, il n'avait pas l'air aussi débile quand même ! « T'es jaloux de pas en avoir un, je suis un marcheur de la lune moi. » Parce que c'était classe, comme titre. Mathéo ne pouvait rien répliquer à ça, lui aurait gagné. Et un point pour le petit Bryan.
Il se mit alors à imiter les rares vidéos dans l'espace qu'il avait pu voir, avançant sans faire attention où il allait à cause de la buée omniprésente... D'autant plus qu'il manquait de se prendre les pieds sur l'herbe à chaque pas... « T'as raison fait attention à l'arbre devant toi marcheur de la lune... » L'arbre ? Quel arbre ? Il plissa les yeux, continuant à avancer pour tenter de percevoir le monde... Et de finalement se manger l'obstacle en pleine tête. « Je te l'avais dit Bryan. Toujours écouter son grand frère je suis la voix de la raison. ».
En enlevant le bocal, le garçon prit une goulée d'air frais avant de lui faire une autre moue. Ah non, il n'allait pas finir ce duel sur un match nul ! « Ouais et moi la reine d'Angleterre alors. » riposta-t-il en plissant le nez et en croisant les bras d'un air vainement fier et hautin.
Alysson P. HarringtonCe soir-là, Bryan se trouvait dans le garage comme à chaque fois qu’il avait besoin de solitude. Et comme à chaque fois, il trouvait quiétude dans la pénombre de la nuit à écouter sa musique tout en prenant quelques inspirations d’air froid à intervalles réguliers. Étrangement, personne n’avait eu l’idée de le chercher là. Et c’était d’ailleurs très bien.
Un sourire se glissa cependant sur ses lèvres quand il vit arriver, face à lui, une silhouette qu’il connaissait bien. Celle de sa petite sœur chérie, qui faisait des cachotteries à Jayleen. Il la regarda faire avant de finalement ranger tranquillement ses écouteurs et se dévoiler à la lumière de la lune, un brin amusé et vainqueur.
« Si elle apprend que tu comptes te montrer à des mecs de ton âge dans cette tenue, je ne donne pas cher de ta peau Aly. » lui dit-il en gardant cet air triomphant et en la regardant se rendre compte qu’elle avait été prise la main dans le sac. « Ce n’est pas de ma faute si elle est trop vieille pour comprendre que j’aurais l’air d’une idiote si je devais porter ça ! ». La remarque le fit rire. Il regarda alors les bas qu’elle lui tendait avant d’hausser les épaules. Elle était loin d’avoir tort, surtout au vu du gout vestimentaire. « Pas faux. Bon, j’ai une proposition à te faire… » Commença-t-il avant de faire durer le suspense pour voir la réaction de sa sœur. « Va y, ça ne pourra pas être pire que de me dénoncer. » Là, il devait plussoyer. Jayleen était une personne douce mais lorsqu’on lui désobéissait… « Si tu me laisses venir avec toi, je garderais secret ton goût pour les mini-jupes, et les chaussures de femmes vénales ! » lança-t-il avec amusement en croisant les bras. C’était à prendre où à laisser. Après tout, sortir aujourd’hui ne pouvait pas lui faire de mal et il pourrait se changer les esprits. Et puis c’était avec sa petite sœur…
« Les chaussures sont à Amber, je serais ravie de lui dire ce que tu penses d’elles ! » … Et merde. Il aurait mieux fait de ne pas plaisanter sur les chaussures cette fois… Si Amber l’apprenait, il était aussi cuit qu’une Brioche de viande dans un four asiatique. « Bon, tu gardes ta langue pour l’histoire des chaussures et on prend ma voiture. » Un bon deal pour se sortir du pétrin. Sa sœur ne pouvait pas refuser, non ? Non ? Elle n’avait pourtant pas l’air d’abandonner son information… Et il ne donnait pas cher de sa peau si c’était le cas… A contre cœur, il ajouta alors « Et tu pourras bécoter tranquillement ton imbécile de petit ami. Je ne dirais rien, ça va ? » . « Génial, mais c’est moi qui conduis ! » Adjugé vendu. Le prix de la complicité était une séance de pelotage, sa voiture et sa sœur au volant contre une incruste. Il se sentait un peu flousé sur ce coup mais bon… C’était sa précieuse petite sœur… Alors ce n’était pas très grave.
Micah Summers-PettersonIl avait fait le con, encore. Toujours à se vanter et voilà où ils en étaient rendus. Lui penché sur une sphère de chocolat et son patron à le surveiller d’aussi près. Bryan avait d’ailleurs presque l’impression que ce dernier allait se jeter sur lui pour le bouffer tout cru et lui prendre ses outils de travail tellement il semblait nerveux… Et cette nervosité, lui, il se la prenait de plein fouet. Elle s’ajoutait à la sienne, faisant grandir la tension de ce moment. Il ne fallait pas qu’il échoue. C’était primordial qu’il n’échoue pas. Il se concentra alors un peu plus, essayant vainement de faire calmer ses tremblements… Peine perdue, évidemment.
« Doucement. » entendit-il derrière lui et il sentit son dos se raidir, son cœur s’affoler devant tant de stress. « Doucemeeeent. » Rah, il n’en pouvait plus. Il fallait faire quelque chose. Il approcha alors sa main, bien trop vite à son gout, ne contrôlant presque plus ses tremblements… S’il échouait… Encore… S’il avait le malheur d’échouer…
La suite se passa très vite, trop vite. Il ne lui avait fallu que deux secondes. Deux microscopiques secondes pour voir la sphère se briser sous son outil et pour assister, impuissant, à l’échec. A l’énième échec.
« Et merde ! » s’écria-t-il en sentant son cœur se faire lourd dans sa poitrine avant de taper du poing sur la table « Merde merde merde ! » De rage, il serra les dents et chassa la cause de sa colère d’un revers de main brutal. Il avait échoué. Il avait encore, ENCORE échoué.
« Hey ! » intervint Micah « T'es pas obligé de dégueulasser la cuisine ! » Bryan se retourna alors vers son patron, le fusillant du regard. « Si tu m'avais pas déconcentré, j'aurais réussi ! A me souffler dans l'oreille là ! » Cette pression était insupportable ! Micah était obligé de toujours craindre pour la survie du chocolat quand il travaillait dessus ? C’était juste frustrant ! « JE t'ai déconcentré ? Parce que c'est de MA faute si t'as la capacité de concentration d'un poisson rouge ? » Alors la… Là, c’était la meilleure ! Sa capacité de concentration et puis quoi encore ? Certes, il était en train d’accuser la mauvaise personne de son échec mais son patron, lui, accusait lui aussi le mauvais cheval ! « J'fais de mon mieux ok ? Et ton exercice, il est complètement débile de toute façon ! »
Fin de la discussion. Exercice débile terminé. Il serra cependant les dents en le voyant croiser les bras et se préparer à rétorquer. Il était toujours obligé d’avoir le dernier mot celui-là ? « Je te rappelle que c'est toi qui m'a demandé de te montrer ce qu'on m'a appris à mon stage. » C’est bon pas la peine de lui rappeler ! « ''Si t'as appris ça en 3 jours de stage, c'est que je peux le faire aussi.'' Tes mots pas les miens. Bravo champion, belle performance ! » Bryan se sentit grincer des dents alors qu’il tuait Micah du regard. Cette imitation moqueuse était juste… Juste affreuse.
Il fallait qu’il se casse. Il fallait qu’il se casse maintenant où il allait vraiment devenir méchant. « J'en ai marre, je me barre. » dit-il en se débarrassant du tablier et en prenant la sortie. « C'est ça dégage ! » entendit-il avant de prendre la porte avec la ferme intention de la claquer…
« Et reviens quand tu seras calmé ! »
…Chose qu’il ne fit pourtant pas. Pas après ces mots. Il la laissa simplement ouverte et fila à grande enjambée.