La routine, c’est sans doute ce qui fait le plus peur à Eleonore. Depuis qu’elle a emenagé dans son petit appartement et qu’elle travaille à domicile, elle sait qu’elle s’est mise en danger. C’est un défi de chaque jour de ne pas retomber dans ses travers d’adolescente, elle qui craint plus que tout la solitude, elle doit parer à toute éventualité de coup de blues et s’éviter de soigner son isolement par la nourriture. Et puis, sans parler de cela, tenir u blog la force à devoir varier ses sujets, ne pas toujours parler de la même chose, autant dire qu’elle fait bien de mettre le nez hors de sa tanière le plus souvent possible.
Selon l’heure, si elle peaufine un article à poster, Eleonore et son ordinateur portable sont facilement repérables au Morning Coffee ou au Fitzgerald’s. Town Square est une petite ville et puis elle connait les patrons, elle fait parti des meubles en somme.
Aujourd’hui, pas d’article à peaufiner, il faut qu’elle trouve un nouveau sujet, genre, d’urgence. Parce qu’elle poste deux gros articles par mois en plus de quelques brèves, les articles bien intéressants, qui font réfléchir, pleurer ou rire. Sauf que la fin du mois arrive à grands pas et qu’elle n’a toujours pas pondu son deuxième article. Pourtant ce n’est pas faute d’essayer, elle a parcouru les galeries d’arts des villes avoisinantes, lu les nouveautés littéraires, vu un tas de film au ciné, mais rien ne l’a interpellée, rien qui mérite de figurer en page d’accueil de son site.
Devant son laptop ouvert sur la table du Morning Coffee, la tête entre les mains, un café noir à sa droite, Eleonore soupire une fois de plus. Elle relit ses ébauches pour la trentième fois, mais non, ça ne vaut pas d’être d’avantage développé, il lui faut un autre sujet. Elle ouvre une nouvelle page sur son traitement de texte, tape trois lettres, reviens en arrière et finalement décide qu’en cas de situation d’urgence, il faut une solution complètement folle. Elle tapote du bout de l’ongle la table et finit par se retourner vers le client à la table d’à côté sans même savoir de qui il s’agit : « Salut, je sais que je vais avoir l’air d’une folle, mais vous n’auriez pas une idée de sujet d’article pour moi par hasard ? » On dirait un malade mental complètement accro aux médicaments qui réclame du lexomil dans la rue. Cela dit, c’est un peu comme ça qu’elle se sent en ce moment.