Une fois de plus, Sam était en retard. Aubrey aurait dût s'y attendre, il faut dire qu'elle avait tout de même plus de vingt quatre ans d'expérience. Le jour où sa petite sœur arriverait à l'heure à un rendez-vous, il allait se mettre à pleuvoir des éléphants roses à pois bleu. Les poules auraient des dents. Le lièvre gagnerait contre la tortue. Bref, le monde ne tournerait plus rond. Avec un soupir à fendre l'âme, Aubrey fit tourner sa cuillère dans son café crème. Elle était ici depuis exactement une demi-heure, une demi-heure à regarder d'un air inexpressif par la fenêtre en touillant sa boisson. C'était tellement typique de Sam. Parfois, Aubrey en venait à se demander si elle ne faisait pas exprès de la faire patienter pendant des heures juste pour la rendre dingue. Ca n'aurait pas été si étonnant que ça. Et puis, si c'était le cas, ça fonctionnait très bien. Lorsqu'elle but sa toute première gorgée de café et réalisa qu'il était déjà tiède, elle retint à grande peine un grognement de rage. Elle extirpa son téléphone d'une main agile de son sac à main et rédigea à toute vitesse un message à l'intention de sa soeur, les sourcils froncés par la concentration et l'agacement. Pile au moment où elle s'apprêtait à appuyer sur le bouton « ENTRER », la porte du bar s'ouvrit en grand fracas. C'était Sam, et instantanément, tous les regards convergèrent vers elle. Il fallait dire que sa petite soeur était plutôt mignonne. Carrément adorable, il fallait le dire, même si aujourd'hui elle semblait passablement grognon. Des cernes légères se dessinaient sous ses yeux. « T'as de la chance », lâcha Aubrey en haussant un sourcil dans sa direction tandis que Sam se laissait tomber sur la chaise en face d'elle. « T'étais vraiment à deux doigts de recevoir un message très vulgaire avec beaucoup de points d'exclamations et de noms d'oiseaux. Franchement Sam, t'exagère, je t'attends depuis une demi-heure. » Elle se pencha vers sa soeur et déposa un baiser sur sa joue, puis se redressa sur la banquette pour la toiser. « Laisse moi deviner... t'as encore passé la matinée à roupiller, c'est ça ? »

Si il y avait bien une chose à laquelle Sam n’avait pas pensé hier soir lorsqu’elle avait accepté de sortir après les cours, c’était bien à sa journée du lendemain. Il avait suffi d’un simple « aller viens, c’est juste un petit truc, on rentre pas tard ! » pour que la jeune femme oublie tout ce qu’elle avait à faire le jour d’après et se laisse entraîner. Et jusqu’au bout de la nuit. Résultat ce matin, quand elle s’était finalement réveillée, il était plus de midi passé et elle avait un sacré mal de tête, ainsi que des cernes. Bien sûr, l’un n'allait jamais sans l’autre avec elle. Elle avait pris une bonne douche puis une aspirine, et c’était lorsqu’elle avait allumé son téléphone que –oh merde !- le souvenir du rendez-vous avec sa sœur lui revenait en tête. « Mais quelle imbécile ! » Sam allait encore être en retard, pour changer, parce qu’il lui était impossible de finir de se préparer en moins de cinq minutes. Bon, tant pis. Décidément la journée commençait bien.  
Et puis maintenant c'était son chat qui s'y mettait, à miauler parce qu'il avait faim. « Oh Sam tu permets ? Je suis légèrement occupée là ! » Faisait-elle remarquer à l’animal alors qu’elle terminait de se maquiller devant le miroir de l’entrée. Aubrey allait la tuer, elle pouvait déjà imaginer la scène. Mais c’était pareil depuis toujours, alors une fois de plus… C’était pas non plus la mort. Si ?

Finalement prête, dix bonnes minutes plus tard, la brune pouvait enfin attraper son sac et sortir de son appartement, sans oublier de nourrir son chat qui ne cessait de se frotter à ses jambes en miaulant à tout va. Sam dévalait à présent les escaliers pour rapidement se retrouver à l’extérieur, marchant aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient. Elle avait une bonne demi-heure de retard là. Et puis elle le vit, et si elle n’était pas d’humeur aussi maussade avec en plus un mal de tête toujours légèrement présent, Sam aurait presque pu pousser un cri de joie. Oh bien sûr d’habitude, la brune aimait bien faire enrager sa sœur en faisant exprès d’être en retard, mais aujourd’hui ce n’était pas le cas et sa bonne humeur naturelle en pâtissait, énormément.

« T'as de la chance » Entendait-elle Aubrey dire une fois entrée dans le café où elles avaient rendez-vous, se laissant tomber sur la chaise en face de la blonde. Sam se contenta alors d’hausser les épaules et de soupirer un peu avant de poser une main sur sa bouche pour bailler tout doucement. « T'étais vraiment à deux doigts de recevoir un message très vulgaire avec beaucoup de points d'exclamations et de noms d'oiseaux. Franchement Sam, t'exagère, je t'attends depuis une demi-heure. » Malgré tout, la jeune femme ne put s’empêcher de lâcher un léger rire. Et voilà, qu’avait-elle dit ? C’était sûr qu’Aubrey allait réagir de cette manière, elle la connaissait par cœur. « Je sais... Bonjour à toi aussi chère sœur. » Elle esquissa un sourire lorsque cette dernière embrassa sa joue puis se défit de son sac qu’elle accrocha à sa chaise. « Laisse moi deviner... t'as encore passé la matinée à roupiller, c'est ça ? » Elle aussi la connaissait sur le bout des doigts. Sam hocha positivement la tête et héla un serveur qui passait par là pour lui demander de lui apporter un bon café bien corsé. Elle n’en prenait quasiment jamais, mais là il lui fallait quelque chose qui l'aiderait à se réveiller. « J’avais complétement zappé ! Et j’avais pas de réveil, et j’étais trop bien dans mon lit… Je suis désolée c’est pas ma faute cette fois, j’ai juste… Pouf, oublié. » Nouveau haussement d’épaules de la part de Sam avec en plus un petit sourire enjôleur adressé tout spécialement à sa grande sœur pour espérer se faire pardonner. « J’espère que t’avais rien d’important prévu après, je voudrais pas que tu sois en retard par ma faute. Sinon, ça va toi ? »

« J’avais complétement zappé ! Et j’avais pas de réveil, et j’étais trop bien dans mon lit… Je suis désolée c’est pas ma faute cette fois, j’ai juste… Pouf, oublié. » A ces mots, Aubrey secoua la tête sans pouvoir retenir un sourire. Elle avait touché dans le mille, évidemment. Les grasses matinées à répétition de sa petite soeur n'était plus un secret pour personne. « J’espère que t’avais rien d’important prévu après, je voudrais pas que tu sois en retard par ma faute. Sinon, ça va toi ? » Aubrey haussa les épaules et but une gorgée de son café. « A part le fait que je me suis ennuyée comme un rat mort en t'attendant et que mon café a refroidi, je pète la forme ». Elle lui adressa un sourire ironique mais ne put s'empêcher d'éclater de rire, incapable de garder son sérieux. Depuis qu'elles étaient toutes petites, elle avait toujours été incapable de rester fâchée contre Sam très longtemps. Ca lui rappelait cette fois où sa sœur avait cassé le précieux vase de sa mère et, paniquée, avait caché les morceaux restants dans la chambre d'Aubrey. Celle-ci avait reçue la dérouillée de sa vie et était restée punie dans sa chambre toute la soirée, mais lorsque Sam était venue la voir le matin pour s'excuser, les yeux brillants de larmes et sa petite bouille toute attristée, elle n'avait pas su résister. Personne ne résiste aux yeux brillants de larmes de Sam, de toute façon. C'est pire qu'une tempête ou un ouragan. C'est dangereux et ça vous dévaste en moins deux.

Aubrey leva les yeux et aperçut un petit garçon assis à la table d'à côté avec sa mère. Il devait avoir à peine un an. Encore un petit qui allait bientôt finir dans sa classe. Elle observa la mère faire sauter le garçon hilare sur ses genoux, un doux sourire sur les lèvres. Elle était perdue dans la contemplation de cette jolie scène quand elle vit la main de Sam lui passer devant le visage, la ramenant soudain à la réalité. Elle secoua la tête et focalisa son regard sur sa soeur, qui la regardait avec un sourcil haussé. Visiblement, elle avait parlé sans qu'Aubrey n'écoute un traître mot de ce qu'elle racontait.

« Désolée, j'étais... ailleurs. En fait, ça va te sembler bizarre, mais mon boulot me manque. Deux mois de vacances, c'est vraiment trop long. » Aubrey poussa un soupir et fit lentement tourner sa cuillère dans son café. « Et toi, comment ça se passe à l'université ? Et au magasin ? Il faut que je pense à venir te voir un de ces jours, histoire de voir comment tu te débrouilles. T'es pas grossière avec les clients, au moins ? »

« A part le fait que je me suis ennuyée comme un rat mort en t'attendant et que mon café a refroidi, je pète la forme » Oh et bien si ce n’était que ça… La jeune fille, enfin femme, pinça doucement ses lèvres entre elles pour se retenir de rire. Mais en voyant sa sœur le faire elle ne put s’en empêcher plus longtemps. Soudainement toute sa mauvaise humeur de ce matin s’était dissipée et elle se sentait beaucoup mieux. C’était l’effet Aubrey ça. Sa sœur avait le don de lui remonter le moral en un rien de temps et sans avoir besoin de faire quoi que ce soit, si ce n’était pas pratique ça ! Même sa fatigue semblait l’avoir quitté, mais pas son mal de tête. Quelle idée aussi avait-elle eu de se faire encore entraîner, sérieusement ? Un jour Sam serait raisonnable, mais ce jour n’était pas aujourd’hui.

Le serveur arriva avec son café et elle le remercia de son grand sourire un peu enfantin, buvant sa première gorgée après avoir soufflé sur la boisson afin de la refroidir. Beurk. Sam n’aimait pas le café corsé, c’était beaucoup trop fort.
« Moi je suis un peu fatiguée, mais ça va, merci de le demander ! » Ironisa-t-elle en lâchant de nouveau un léger rire. « N’empêche que je suis vraiment désolée, je pensais pas sortir hier soir, c’était pas prévu. Mais enfin bon. Tant pis ! Puis je sais pas pourquoi j’ai pris un café corsé j’ai horreur de ça, tu veux ? Non ? » Sam fronçait les sourcils alors qu’elle regardait sa sœur, visiblement plus intéressée par ce qu’il se passait ailleurs que par les paroles de sa cadette. « C’est moi qui ai piqué ta veste préférée, tu sais la bleue là. Elle était super jolie et j’en avais besoin pour sortir alors vu que j’ai la clé de chez toi… Oh et puis j’ai fait une grosse tâche dessus. » Toujours pas de réaction de la part de la blonde, et pourtant dieu seul savait à quel point elle adorait cette veste-là ! Sam souffla alors un peu et passa une de ses mains devant le visage d’Aubrey afin de la faire revenir à la réalité. « Oh ! Je suis là ! » Dit-elle, le sourcil haussé, tout en se demandant ce qui avait bien pu traverser ses pensées pendant son moment d’absence.

« Désolée, j'étais... ailleurs. » Sans blague ? Sam avait bien remarqué ça, oui. «  En fait, ça va te sembler bizarre, mais mon boulot me manque. Deux mois de vacances, c'est vraiment trop long. » Oui, effectivement, ça lui semblait bizarre. Qu’est-ce que la brune n’aurait pas donné pour avoir deux mois entiers de vacances… Mais c’était Aubrey, et elle adorait son travail, donc venant d’elle ce n’était pas tellement surprenant.

Elle ne put cependant s’empêcher de souffler un rire, haussant les épaules après avoir pris une nouvelle gorgée de son café. « Et toi, comment ça se passe à l'université ? Et au magasin ? Il faut que je pense à venir te voir un de ces jours, histoire de voir comment tu te débrouilles. T'es pas grossière avec les clients, au moins ? » Elle levait les yeux au ciel à ses paroles, un air amusé au visage. Elle, grossière ? Jamais. Du moins pas au boulot, elle ne pouvait pas se le permettre. Et pourtant sa patronne ne l’aurait pas volé. « Non maman, promis. Je suis sage comme une image ! Mais sinon oui, ça va, c’est un peu compliqué parfois de gérer les deux mais… Je suis trop forte, je me débrouille comme un chef. » Déclarait-elle avec un grand sourire, plutôt fière d’elle-même. Fière elle pouvait l’être, suivre des cours en ayant des notes plutôt bonnes et travailler en même, c’était pas une mince à faire. « Par contre ma patronne… Qu’est-ce qu’elle est chiante ! J’en peux plus. Et je peux rien dire, t’imagines ? Rien ! C’est trop frustrant... » Elle lâcha alors un long soupire, grimaçant un peu. Elle qui était d’un naturel franc, c’était de plus en plus dur de ne pas craquer à chaque réflexions de celle qui l’employait. « Sinon, mémé brey, ton prince charmant c’est quand que tu le trouve ? »

En voyant sa sœur lever les yeux au ciel, Aubrey ne put s'empêcher de sourire. Elle aimait bien l'embêter, c'était tellement drôle. A quoi servait une petite sœur si on ne pouvait pas l'embêter un peu, après tout ? Et puis il fallait dire que Sam lui rendait bien la pareille. « Non maman, promis. Je suis sage comme une image ! Mais sinon oui, ça va, c’est un peu compliqué parfois de gérer les deux mais… Je suis trop forte, je me débrouille comme un chef. » Aubrey porta son café à ses lèvres et but une gorgée du liquide tiède, hochant la tête. Elle ne l'avait jamais dit à Sam, mais en vérité, elle l'admirait. Elle était consciente que devoir jongler entre l'université et son boulot qui, d'après ce qu'elle avait pu entendre sur la patronne de la boutique, n'était pas exactement un long fleuve tranquille, devait être extrêmement difficile. Surtout lorsqu'on s'appelle Sam Pearson et qu'on est encore une adolescente dans sa tête. « Je suis sûre que tu t'en sors très bien. Tu sais, je suis fière de toi, Sammy. Et puis, si ta patronne est si chiante que ça, tu peux toujours lui filer une beigne. Effet garanti ! Par contre, je ne suis pas tout à fait certaine que tu pourras garder ton job après ça. » Suite à ses paroles, elle adressa un clin d’œil à sa sœur et souffla un rire. Rire qui s'étrangla bien vite dans sa gorge lorsqu'elle entendit la phrase de Sam. « Sinon, mémé brey, ton prince charmant c’est quand que tu le trouve ? ».

D'habitude, c'était le genre de question qui ne lui posait aucun problème. Elle répondait habituellement avec calme qu'elle avait encore le temps de le trouver, qu'elle était jeune et qu'elle profitait de ses jeunes années. Mais depuis récemment, Aubrey traversait une période difficile. Une sorte de... crise de la trentaine avant l'heure. A force de voir ses amis déjà casés, avec deux voire trois gosses à leur actif, une baraque énorme, un chien et une pelouse parfaite, elle commençait à angoisser. Est-ce qu'elle était déjà trop vieille pour trouver l'homme parfait ? Et si elle avait louper sa chance de fonder un jour une famille ?

« Eh bien... ça va. Je suis encore jeune, tu sais. J'ai... j'ai le temps. Et... hum, et toi, quoi de neuf ? ». Elle était tellement peu convaincante dans sa façon de s'exprimer que même un enfant de cinq ans n'aurait pas cru un traître mot de ce qu'elle racontait. Elle resta silencieuse face à son café un instant, sentant le regard lourd de Sam posé sur elle. Avec un soupir, elle finit par relever la tête et croisa le regard interrogateur de sa cadette. « Sam ? Tu crois que je suis déjà périmée ? Je veux dire, si ça se trouve, plus aucun mec ne voudra de moi pour être la mère de ses enfants. J'ai déjà vingt six ans. Tu te rends comptes ? Bientôt, j'aurais des rides. » Horrifiée, Aubrey grimaça et fixa sombrement ses doigts, jouant avec sa petite cuillère. « Je vais me retrouver vieille fille, tu verras. Une petite vieille aigrie qui jette des œufs aux gosses le soir d'Halloween et qui pue le pâté pour chat. »

Un grand sourire éclairait le visage de la jeune femme aux paroles de sa sœur. Savoir qu’Aubrey était fière d’elle la rendait toujours extrêmement heureuse, après tout elle était son ainée alors… Ça faisait toujours un petit quelque chose lorsqu’elle lui disait ce genre de truc. Sam aussi était assez fière d’elle mais il fallait bien avouer qu’entre se le dire à soit même et se l’entendre dire de la bouche de quelqu’un d’autre, ce n’était pas tout à fait pareil. « Et puis, si ta patronne est si chiante que ça, tu peux toujours lui filer une beigne. Effet garanti ! Par contre, je ne suis pas tout à fait certaine que tu pourras garder ton job après ça. » La brune émit un léger rire cristallin, secouant doucement son visage par la suite. Ah cette Aubrey… N’empêche que ça aurait pu être une solution, si on oubliait l’absence totale de force de Sam. Et son licenciement certain.

Elle posa ensuite une question qui eut pour effet de radicalement changer le comportement de la blonde, qui était pourtant en train de rire deux secondes plus tôt. Voyons ça. Que pouvait bien être le problème de sa sœur ? Du point de vue de Sam, elle avait à peu près tout pour être heureuse. Sauf que Sam et Aubrey n’étaient pas les mêmes et, malgré le fait qu’elles s’entendaient extrêmement bien, elles ne voyaient pas leurs futurs respectifs de la même manière. La petite brune savait très bien que sa sœur souhaitait à tout prix trouver quelqu’un, avoir des enfants avec, tout ça… Un peu comme leurs parents quoi. « Eh bien... ça va. Je suis encore jeune, tu sais. J'ai... j'ai le temps. Et... hum, et toi, quoi de neuf ? » Effectivement, vu la façon dont elle avait répondu, quelque chose la travaillait. Aubrey mentait comme un pied. Elle haussa alors légèrement un sourcil tout en posant un regard lourd de sens sur sa sœur, histoire de la faire parler. Même pas une minute plus tard cette dernière déballait tout. « Sam ? Tu crois que je suis déjà périmée ? Je veux dire, si ça se trouve, plus aucun mec ne voudra de moi pour être la mère de ses enfants. J'ai déjà vingt six ans. Tu te rends comptes ? Bientôt, j'aurais des rides. » Les yeux écarquillés, la benjamine fixait sa sœur comme si elle venait de lui sortir que les aliens avaient débarqué sur Terre. Alors là elle aurait tout vu… Elle n’eut même pas le temps d’essayer de ramener Aubrey à la raison que déjà celle-ci reprenait ses paroles, visiblement horrifiée. « Je vais me retrouver vieille fille, tu verras. Une petite vieille aigrie qui jette des œufs aux gosses le soir d'Halloween et qui pue le pâté pour chat. » C’était plus fort qu’elle, mais Sam laissa échapper un rire avant de rapidement se reprendre. C’était absolument pas drôle. Sa sœur faisait sa crise de la trentaine sans même être dans la trentaine. La plus jeune soupira un peu, sans quitter son ainée du regard alors qu’elle remettait ses cheveux légèrement en arrière en passant une main dans ces derniers. « Aubrey, Aubrey, Aubrey… C’est moi qui ai un chat ! Et non plus sérieusement… Calme-toi. » Elle avait l’impression d’être l’adulte là et c’était honnêtement un sentiment très étrange pour elle. « T’as encore le temps pour les rides. Et t’adores les gosses, alors pour leur lancer des œufs… » Elle grimaça comme pour lui faire comprendre que ce n’était pas prêt d’arriver puis lui adressa un petit sourire qui se voulait rassurant. « Rassure toi, t’es absolument pas périmée. T’as encore deux ou trois ans. » Finit-elle pour conclure, un sourire amusé en coin de lèvres pour espérer détendre sa grande sœur.

« Aubrey, Aubrey, Aubrey… C’est moi qui ai un chat ! Et non plus sérieusement… Calme-toi. » Malgré sa mine renfrognée, il fût impossible pour Aubrey de réprimer un sourire amusé. Puis elle poussa un soupir et reposa sa cuillère à café sur la table en faisant la moue. « D'accord, mais si ça se trouve, tu vas me le refiler un jour parce que tu n'en voudras plus. T'as toujours eu un problème avec les animaux. Tu te souviens de Gaspard ? Pauvre animal. » Aubrey secoua la tête en feignant un air exaspéré, mais toute sa mauvaise humeur venait de s'envoler en un claquement de doigt. Gaspard était la tortue que Sam avait obligé son père à lui acheter lorsqu'elle avait cinq ans en faisant un caprice monstrueux dans l'animalerie. Résultat, la famille Pearson s'était retrouvée avec une tortue nommée Gaspard - elle ne se souvenait plus pourquoi, d'ailleurs - sur les bras. Sam s'était rapidement lassée de son animal de compagnie, et la tortue était partie aux oubliettes. La pauvre avait fini par mourir de faim, et son père avait par la suite strictement refusé de ramener le moindre animal à la maison. « Bon, je sais que Sam, c'est différent. C'est ton bébé. Je suis sûre que tu tiens plus à lui que le sac à main que je t'ai acheté pour ton anniversaire, et c'est pas peu dire. »

« T’as encore le temps pour les rides. Et t’adores les gosses, alors pour leur lancer des œufs… » Aubrey hocha la tête. Certes, Sam marquait un point. Les gosses, c'était son rayon alors elle se voyait mal se mettre à les martyriser. En fait, elle serait plutôt une mamie gâteau du genre à garder les enfants de ses voisins et à les emmener au parc après l'école. Ce n'était pas si mal comme programme. Mais bien évidemment, elle préférait avoir des enfants à elle et connaître la joie d'être maman, la maternité et l'éducation des enfants. « Rassure toi, t’es absolument pas périmée. T’as encore deux ou trois ans. » Deux ans ou trois ? Ce n'était pas tellement rassurant. Les années passaient tellement vite... Aubrey se garda cependant bien de faire la moindre réflexion. Elle savait que sa sœur avait du mal à concevoir ses idées de famille et ne voulait pas l'embêter avec tout ça.

« Bon, et si on arrêtait de parler de moi et de mes peur de finir vieille fille pour se concentrer un peu plus sur toi ? » Avec un sourire taquin, Aubrey haussa un sourcil en direction de Sam. La vie amoureuse de Sam était beaucoup plus trépidante que la sienne car la jeune femme n'avait pas les même attentes au niveau des hommes - ou des femmes d'ailleurs. Elle voulait juste s'amuser, profiter de ses jeunes années, et même si Aubrey ne partageait pas ces idéaux, elle ne pouvait s'empêcher d'envier Sam pour cette totale liberté et cette absence de questionnements. Elle se fichait de savoir si elle allait trouver un jour la personne idéale. Et bon sang, cela devait faire un bien fou de ne pas sans cesse craindre l'avenir.

Gaspard… A l’évocation du pauvre animal Sam ne put retenir un petit sourire amusé, et quelque peu nostalgique. Elle se souvenait très bien de cette adorable tortue pour laquelle elle avait dû faire un de ses plus gros caprices, en pleine animalerie. Bien évidemment son père avait cédé, et c’était une petite Sam toute joyeuse qui était rentrée chez elle ce jour-là. Elle avait nommé sa tortue Gaspard, malgré les protestations de son grand frère qui trouvait ce nom abominable, mais c’était SA tortue, alors c’était ELLE qui l’appelait comme elle le voulait. Gaspard c’était mignon, facile à dire, c’était le prénom de son amoureux de l’époque et de la dernière barbie qu’elle avait eu. Sauf que bien sûr, la petite fille se lassait de tout et très vite, et le pauvre Gaspard n’avait donc pas fait long feu. Depuis ça, plus aucun animal n’avait été autorisé chez les Pearson. « Bon, je sais que Sam, c'est différent. C'est ton bébé. Je suis sûre que tu tiens plus à lui que le sac à main que je t'ai acheté pour ton anniversaire, et c'est pas peu dire. » Sam s’empressa d’hocher son visage alors qu’elle lâchait un petit rire, approuvant ainsi les dires de sa sœur qui avait entièrement raison. Son petit chat, c’était son petit amour à elle. Elle l’adorait même si il avait la sale manie de laisser des poils partout et de la réveiller en jouant avec ses cheveux. Jamais elle ne s’en séparerait, elle ne pouvait pas oser l’imaginer. L’animal avait même son prénom, c’était un peu comme une part d’elle-même en fait… Ou un Horcruxe.

La petite brune essayait tant bien que mal de remonter le moral de sa sœur mais c’était à priori sans grand succès. Elle se désolait d’être aussi nulle, parce qu’elle savait très bien qu’Aubrey angoissait à l’idée de finir seule mais elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle était censée lui dire pour la faire vraiment positiver. Elle-même n’avait pas ce genre de problème, et puis elle savait bien qu’Aubrey ne finirait pas seule. C’était impossible. C’était une femme beaucoup trop exceptionnelle pour ça.

« Bon, et si on arrêtait de parler de moi et de mes peur de finir vieille fille pour se concentrer un peu plus sur toi ? » Sam connaissait beaucoup trop sa sœur pour ne pas savoir que si elle posait cette question-là, c’était surtout parce que ça la gênait de continuer de discuter de sa vie à elle et que ça la tracassait plus que ce qu’elle ne voulait bien laisser paraitre. Mais elle ne préféra pas insister, histoire de ne pas remuer le couteau dans la plaie ou ce genre de chose, et se contenta d’hausser les épaules avec un léger sourire. C’était l’habituel. Rien n’avait bougé depuis la dernière fois, c’était d’ailleurs assez rassurant. Elle adorait son train de vie, tout allait parfaitement bien et comme elle le voulait alors elle ne changerait pas un seul truc pour rien au monde, pas même pour les beaux yeux d’un garçon ou d’une fille, qui de toute façon risquerait fort de terminer un peu comme le pauvre Gaspard. « Moi ? Oh tu sais… » Commença-t-elle avec un petit sourire en coin amusé. « Je rentre tous les soirs dormir auprès du même homme depuis deux ans ! » Evidemment, elle parlait de son chat. De qui d’autre sinon ? Elle laissa échapper un rire tout en attrapant sa tasse de café qu’elle porta à ses lèvres. Et là, elle ne sut pas vraiment trop pourquoi, mais quelque chose la frappa d’un coup. Deux ans. C’était exactement le nombre d’années écoulées depuis qu’Elle était partie. Sam avait adopté Sam un peu après, peut être pour combler quelque chose sauf que jamais –ô grand jamais- elle ne l’avouerait à qui que ce soit. Et puis c’était de l’histoire ancienne de toute façon. Terminée. Elle prit alors une grande gorgée de son café à présent tiède puis reprit. « Il y a eu ce garçon la semaine dernière… Super mignon, t’aurais craqué ! »

« Moi ? Oh tu sais… Je rentre tous les soirs dormir auprès du même homme depuis deux ans ! » La phrase de sa soeur, balancée négligemment, laissa Aubrey pantoise. Elle fixa Sam avec de grands yeux écarquillés. Comment ça elle rentrait tous les soirs auprès du même homme depuis deux ans ? Sam était casée et elle ne lui en avait jamais parlé ? « Qu'est-ce que tu racon... » Oh. Ca y est, ça venait de faire tilt. Ce n'était pas d'un humain dont Sam parlait mais de... Sam, en fait. Son chaton. « Bon sang, tu m'as fait peur. J'ai bien cru que tu m'avais caché une relation avec un homme depuis deux ans. Je crois que j'ai besoin d'un autre café, en fait. Garçon ! » Elle fit mine de héler le serveur et baissa son bras en éclatant de rire. « Il y a eu ce garçon la semaine dernière… Super mignon, t’aurais craqué ! » « Il était comment ? Blond et carrément bien baraqué ? Parce qu'en effet, c'est mon style ». Elle eut un petit sourire amusé, mais celui-ci se dissipa bien vite lorsqu'elle réalisa que cette description correspondait tout à fait à quelqu'un de sa connaissance.

Andreas. Aubrey avait tout fait pour l'oublier, mais c'était au-dessus de ses forces. Ses pensées revenaient toujours vers lui d'une manière ou d'une autre. A croire que son visage était gravé dans son cerveau. Touillant songeusement sa cuillère dans les petits gouttes qui restaient au fond de sa tasse, elle tâcha de paraître normale pour que sa soeur ne remarque rien. Depuis toujours, elle disait tout à Sam, mais cette fois-ci elle ne tenait pas à l'embêter avec ses histoires. Et puis, si elle lui en parlait, cela ne l'aiderait pas à oublier définitivement Andreas. Ca le rendrait encore plus présent dans sa vie, encore plus réel, car ils ne seraient plus les deux seules personnes à avoir connaissance de cette relation. Chassant ces pensées de sa tête, Aubrey leva la tête vers Sam avec un petit sourire. « De toute façon, si tu trouvais un jour quelqu'un... Je veux dire quelqu'un avec qui ce soit sérieux, tu me le dirais, pas vrai ? ».

Aubrey s'était toujours dit que Sam lui disait tout de sa vie, mais à présent elle avait des doutes. Les deux sœurs étaient extrêmement proches, mais si Aubrey pouvait cacher des choses à Sam, alors pourquoi pas cette dernière ? Elle ne supportait pas l'idée que Sam puisse lui cacher quoi que ce soit. Elle ne pouvait pas la protéger si elle n'était pas au courant de tout ce qui constituait sa vie. Protéger la petite Sammy avait toujours été un des buts principal de sa vie, depuis qu'elle était petite. Son frère et elle avaient même un jour conclu un pacte ; toujours protéger Sam avant eux-même. C'était à l'époque où leur jeune soeur n'était encore qu'un bébé. Mais depuis ce jour-là, rien n'avait changé, ils étaient toujours aussi protecteurs envers elle. Un peu trop parfois, sans doute.