Dimanche. C’est vraiment le pire jour de la semaine. La salle de sport de Town Square ne propose pas de cours et la boutique BIO où je travaille les après-midi est fermée toute la journée. Autant dire que c’est vraiment un supplice pour moi ce jour là. Et aujourd’hui ne déroge pas à la règle. J’ai beau rester un peu plus longtemps que d’habitude au lit – jusqu’à neuf heures un vrai miracle – une fois levée, je ne peux pas m’empêcher d’aller vite avaler un jus de fruit pour ensuite aller courir un peu au parc. Je ne peux décidemment pas m’en empêcher, c’est plus fort que moi. Je ne m’accorde pas une seule journée sans faire du sport et même le dimanche qui est sensé être un jour de repos, il faut que j’aille me dépenser un peu autour du lac. J’enclenche mon chronomètre à mon poignet et au bout de trente cinq minutes à courir, je m’arrête finalement, complètement essoufflée. Je rentre chez moi à pieds, en profitant pour retrouver mon souffle et retrouver un rythme cardiaque plus ou moins normal. Mais une fois que je suis chez moi, que je me suis douché et que je suis confortablement installée sur mon balcon, je m’ennuie. J’essaie de profiter un peu du soleil en lui offrant mon corps mais très vite, je commence à avoir mal au dos et aux fesses. Je ne suis vraiment pas faite pour rester sur place. Bon, autant faire quelque chose d’utile. Je rentre à nouveau dans mon appartement pour aller chercher mon ordinateur portable et des feuilles de paperasse. Ca fait un bon moment maintenant que je me suis lancé dans un projet – autre que sauver mon frère de sa maladie – et dès que j’ai un peu de temps à tuer, je cherche des informations et je fais des calculs. En plus de ça, mon cher colocataire n’est pas là de la journée donc je suis vraiment au calme pour étudier les locaux à louer dans Town Square. Sauf que très rapidement, mon esprit se met à divaguer.

Ca fait un bon moment que c’est un peu tendu avec Anna et très honnêtement, elle me manque beaucoup. Le problème c’est qu’on est toutes les deux bien trop fières pour venir parler à l’autre en premier. Et le problème c’est que j’ai vraiment envie de passer un peu de temps avec elle. Ca fait cinq ans qu’on a été habituées à pouvoir compter sur l’autre et à s’appeler pour le moindre problème. Je décide donc de ravaler ma fierté et de lui envoyer un message. Je sais que même si elle sera occupée, elle viendra. « Hey, pas de colocataire à la maison. Ca te dit de passer en fin de journée ? Tu me manques… Bisous. » Et j’appuie sur envoyé. Elle ne pourra pas refuser, surtout que Gillian n’est pas dans les alentours pour venir nous embêter avec ses jeux vidéos ou ses fringues qui trainent de partout. Je me remets à mes petits calculs, baissant mes lunettes de soleil sur mon nez pour éviter d’être éblouie à cause du soleil qui tape sur mon balcon. Une bonne demie heure plus tard, Anna répond enfin à mon message. Un petit sourire se dessine sur mes lèvres, ravie de voir qu’elle… Ne pourra pas venir ? Je fronce les sourcils, relisant plusieurs fois son message. A la limite qu’elle soit occupée, je peux comprendre, on a tous nos petites vies à gérer mais c’est plutôt le ton qu’elle semble employer dans son message. Je me mords la lèvre inférieure. Je sais qu’elle m’en veut beaucoup de passer pas mal de temps à préparer mon projet mais je trouve que ça va un peu loin… Il y a peut-être quelque chose qui ne va pas et je préférerai qu’elle m’en parle plutôt qu’elle m’évite de la sorte… Ironique quand on sait que c’est moi qui l’évite depuis quelques temps…

Inquiète, je me lève de mon transat et range mes affaires pour aller enfiler une robe et attraper mon sac à main. Je m’asseye derrière le volant de ma voiture électrique et conduit directement chez elle. Je me gare juste devant la porte puis je vérifie mes cheveux dans le rétroviseur. Je fais toujours attention à être jolie pour elle, je ne sais pas pourquoi… J’aime savoir qu’elle me trouve belle. Quoi qu’il en soit, je finis par quitter ma voiture et me retrouver devant la porte d’Anna. J’espère juste qu’elle va m’ouvrir…

Un dimanche de repos pour une serveuse dans un restaurant ? Evénement qui arrive si rarement qu'aujourd'hui, je décide d'en profiter. Mon patron étant au courant de mon intention de changer de vie professionnelle me donne de plus en plus de jour de repos, certainement aussi pour commencer petit à petit à habituer l'équipe à mon absence. Cinq ans dans ce même restaurant, ce n'est pas rien et je dois avouer que c'est avec un peu de regret que je quitterais ce job et mes collègues. Mais nous n'y étions pas encore à ce stade et je devais me concentrer sur mon présent. Ayant fini mon service assez tard hier soir, je réussis à faire la grasse matinée jusqu'aux environs de neuf heures trente. Petit déjeuner pris, je discutais quelques instants avec mon père installé dans le canapé devant une émission de voitures. Il m'apprit alors qu'il devait retourner à l'hôpital en début d'après-midi et qu'il y passerait certainement la nuit. Cette nouvelle ne m'étonnait pas plus que ça, je savais qu'il dormais mieux dans un lit adapté à son état et j'avais l'habitude depuis ces derniers mois. De plus, passer la journée en solo ne me posait vraiment aucun problème -bien au contraire.

Après avoir revêtu un short de sport et un débardeur simple et légèrement moulant, j'étais prête pour entamer ma séance de sport matinal, essentiel à mon bien-être. En redescendant de ma chambre, j'attrapais un fin tapis en mousse dans le salon et une bouteille d'eau dans la cuisine pour finir par m'installer sur la terrasse. Mon père savait ce que je m'apprêtais à faire et il me fit un fin sourire, signe d'encouragement. Je remarquais qu'il aurait aimé participer à cette séance avec moi, l'émotion que ressortais de son regard me rendait relativement triste donc je préférais me concentrer d'avantage sur mes exercices, en commençant par une séance d'abdominaux. La majorité de mes muscles y passèrent. Je n'oubliais pas de m'hydrater régulièrement.
Une bonne heure plus tard, parfaitement essoufflée, je restais un long moment allongée sur mon tapis avec mes mains posées sur mon ventre. Le ciel était bleu parsemé de quelques nuages pour laisser une touche de blanc, annonçant une belle journée pour rester sur un transat et en profiter pour me reposer.

En milieu d'après-midi, alors que je lisais un livre d'histoire amoureuse je reçus un texto. « Hey, pas de colocataire à la maison. Ca te dit de passer en fin de journée ? Tu me manques… Bisous. » Sasha venait de me proposer de passer chez elle alors que nous étions en froid depuis quelques temps. Elle faisait le premier pas, c'était déjà une bonne chose mais je ne mis pas longtemps à répondre : « Je ne pourrais pas aujourd'hui, les jours suivants non plus. Tu peux très bien t'occuper autrement. » Là, si elle ne comprenait pas mon agacement, je n'avais plus de solution en réserve. Je ne reçus aucune réponse dans les minutes qui suivirent donc je compris que je n'en recevrais plus. J'avais peut-être mis un terme définitif à notre relation avec mon message mais si elle n'était pas capable de comprendre que je n'attendais pas grand chose d'elle, juste un peu plus d'attention et de preuve qu'elle tient à moi, c'est qu'elle n'était pas la bonne. Je cogitais vraiment beaucoup et n'arrivais plus à avancer dans mon roman.
La sonnette de la porte d'entrée retentit. Mon père était parti depuis un moment maintenant et puis, il avait ses clés donc ça ne pouvait pas être lui. Je me levais et replaçais la fine bretelle de ma robe sur mon épaule afin de ne pas paraître vulgaire. Je passais rapidement une main dans mes cheveux et vérifiais mon allure dans le miroir de l'entrée avant de tenter de reconnaître la silhouette de l'autre côté de la porte aux vitres à effet embué. Longue chevelure brune, robe et de taille à peu près similaire à la mienne. Mon coeur se levait légèrement en pensant reconnaître Sasha. Surprenante, cette jeune femme. J'ouvrais la porte et mes questions de l'identité de la personne s'envolèrent. C'était bien elle. « Oh. Salut, » dis-je avec étonnement. Je la regardais avec attention, elle était vraiment belle donc intérieurement, je souris sans pour autant le laisser paraître sur mon visage. « Je ne savais pas que tu pouvais être si insistante. Mon message était clair, non ? » Je ne m'étais pas souvent comporter aussi froidement avec elle et Sasha allait probablement se demander pourquoi j'étais aussi distante, sans même lui proposer d'entrer.

Parmi toutes les personnes de mon entourag, Anna était la personne à qui je tenais le plus. Bien sur, mes deux frères et mes parents passaient avant. Mes parents m’avaient offert une vie merveilleuse alors que si j’étais restée au Mexique, j’aurai sûrement mal fini comme ces enfants que l’on voit dans les reportages à la télévision, qui sont obligé de se prostituer ou de vendre de la drogue pour survivre dans les rues. Je leur dois tout. Et mon grand frère aussi je lui dois tout. Sans lui, les autres auraient sûrement réussi à me mener jusqu’au suicide et grâce à lui, les autres jeunes avaient arrêté de se moquer de moi à cause de mes origines différentes que celles des Fields. Et mon petit frère c’est mon Loulou, le petit bébé de la famille. Je l’adore tout simplement parce que c’est le plus jeune et que même si je suis un poil moins proche de lui, je suis sûre qu’on pourra toujours l’un sur l’autre. Et puis dans mes amis, la plus chère est bien entendu Sam et j’adore ma collègue au travail et mes élèves aux cours de Yoga mais Anna… C’est spécial. C’est vraiment une personne avec qui j’aime passer du temps. On a eu de sacrés fous rires toutes les deux et on est souvent sur la même longueur d’ondes. Elle ne m’a jamais jugée et je ne l’ai jamais fait non plus. C’est comme ça que ça marche entre nous deux et je ne peux pas cacher mon béguin pour elle. Quoi que, je le fais justement bien en évitant de passer trop de soirées avec elle, en allant voir d’autres filles et en me plongeant dans mon travail pour avoir une bonne excuse. Je n’ai jamais osé lui avouer ce que je ressentais pour elle et je ne me sens vraiment pas prête pour ça.

C’est pour toutes ces raisons que je suis un peu vexée en voyant la réponse d’Anna après mon texto lui proposant une soirée toutes les deux. On a jamais eu besoin de faire des grosses sorties les deux. Passer un moment à cuisiner un cake BIO, faire un petit peu de yoga, se regarder une série télévisée jusqu’à tard dans la nuit et bien sur quelques câlins sous la couette… Ca a toujours été normal entre nous. On n’a jamais eu besoin de chichi et en voyant sa réponse je me dis que j’ai peut-être merdé quelque part mais que je préférai qu’elle me le dise en face, qu’on en parle, plutôt qu’elle me boude comme ça… Alors ni une, ni deux, je m’habille, attrape mon sac à main et file directement chez elle. Je n’aime pas spécialement arriver chez les gens sans prévenir, surtout que je sais que son papa n’est pas très bien et que je ne voudrais pas les interrompre ou le gêner lui dans son repos mais je ne pourrais tout bonnement pas me coucher ce soir en ne sachant pas ce qui ne va pas… Après une petite vérification dans le rétro, je finis par monter à sa porte et celle-ci s’ouvre sur une Anna plus belle que jamais. Cette fille, même en colère, je donne des papillons dans le ventre. Je l’observe, un peu brusquée d’abord, puis quand j’entends son ton pleins de reproche, j’ai l’impression d’avoir bu une potion d’Alice Au Pays Des Merveilles et de me rapetisser dans mes ballerines. Je reprends mes esprits et la regarde tristement. « Non, il n’était justement pas clair… Je peux entrer ? Je pense qu’il faut qu’on parle… Tu sembles être remontée contre moi et j’aimerais mieux savoir pourquoi au lieu qu’on soit en froid toutes les deux… J’aime pas ça et comme je l’ai dit, tu me manques… » Je me rends compte que je n’ai pas vraiment réfléchi à l’ordre de mes phrases. Tout est sorti dans une totale incohérence et je ne suis pas sûre qu’elle va me comprendre mais au moins tout est dit et maintenant j’aimerais bien qu’elle me laisse entrer et qu’on s’expliquer. Je n’ai pas envie de perdre notre amitié, notre relation aussi complexe soit elle…

Il n'y avait trente-six raisons qui avaient pu faire que Sasha se retrouve devant ma porte aussi rapidement. Elle s'inquiétait du ton que j'avais employé dans mon message et bien que je ne le lui prouve pas en ce moment-même, j'étais impressionnée et positivement surprise par son attitude. Sans trop attendre, elle exprimait son ressenti, me demandait d'entrer et espérait que l'on puisse s'expliquer. Un très fin sourire s'inscrit sur mes lèvres, assez fin pour que Sasha ne risque même pas de le remarquer et au fond, je ne souhaitais pas qu'elle s'en aperçoive. « Oui, entre. Pardon, » commençais-je en me décalant sur le côté pour lui laisser la place d'entrer dans ma villa. Nous nous trouvions encore dans l'entrée, je venais tout juste de fermer la porte derrière elle pour me tourner face à elle et ajouter : « Mon père est retourné à l’hôpital tout à l'heure, tu peux donc rester sans soucis. Tu veux aller sur la terrasse ? » J'évitais pour le moment de répondre à ses mots simplement car je préférais être confortablement installée pour échanger sur un sujet qui, à mon sens, devait être pris avec le plus de sérieux possible. Alors qu'elle répondait positivement à ma proposition d'aller s'installer dehors, je lui fis signe d'y aller. Elle connaissait le chemin. Je la suivais et sans que je ne le veuille vraiment, mon regard se posa un instant sur son fessier parfaitement moulé dans la robe qu'elle portait. Concentre-toi un peu, Anna ! L'heure est grave et même si elle a une plastique parfaite que tu connais bien, elle ne s'engage pas comme tu le voudrais.
On prit place autour de la table. Je la regardais dans les yeux quelques secondes et compris que c'était à mon tour de parler. « Pour que tu comprennes : oui, j'ai un soucis avec toi. Je te l'ai dit la dernière fois qu'on s'est vu à la boutique. Je pensais que tu étais capable de m'offrir un peu plus d'attention et ce n'est pas la première fois qu'on a cette conversation. Enfin, j'ai l'impression de te le dire à chaque fois et à force, ça m’agace. » Je marquais une légère pause et sur ma lancée, je n'attendais même pas sa réponse pour reprendre. « Je t'en demande certainement trop. Je crois avoir compris maintenant, tu as envie de .. voir autre chose, d'autres personnes. » Je baissais mon regard car je n'avais pas encore accepté cette idée. Il le fallait car j'avais entendu certaines choses, appris que Sasha ne me voyait pas comme une relation exclusive. J'attendais sa réponse, ce qu'elle allait me dire et comment elle allait réagir. Même si notre relation n'était pas des plus simples, je l'avais toujours considérée comme la seule à qui je pouvais m'offrir de la façon dont je lui offrais mon corps à chacune de ses envies. Si elle voulait voir d'autres femmes ou d'autres hommes, je l'accepterais ; j'avais juste besoin de le savoir pour que de mon côté, je le fasse également si l'envie me prenait. Je n'étais évidemment pas à l'aise face à cette situation et mes mains sur la table, je grattais légèrement les bouts de mes doigts entre eux, signe de mon malaise.

Je veux en avoir le cœur net. Ca fait cinq ans qu’on se connaît avec Anna, on s’est toujours tout dit et j’ai pas envie que ça change. Pourtant, on dirait bien qu’elle m’a caché une certaine animosité en me remballant plutôt sèchement dans son dernier texto. Je sais que notre amitié est quelque peu compliquée en ce moment mais peut-être que c’est le bon moment pour qu’on mette les choses à plat. Je n’ai pas envie que ça continue comme ça. Nos soirées cuisine, à regarder des séries en tous genres me manquent. En cinq ans on en a vécu des choses et je veux qu’on puisse se reparler comme avant. J’avoue que c’est en grande partie à cause de moi mais si je suis prête à faire des efforts, il faut qu’on fasse toutes les deux des concessions.

Même si je ne suis pas franchement bien accueillie lorsqu’Anna ouvre à la porte, je demande quand même à pouvoir rentrer. Maintenant que je suis là, c’est le moment où jamais. Elle semble hésiter avant de finalement me laisser entrer en s’excusant. Mon cœur se met à battre très vite dans ma poitrine et c’est normal, on a plusieurs fois fini dans ce couloir à s’embrasser à en perdre haleine avant de monter dans sa chambre quand mon colocataire était présent chez moi. Mais je fais comme si de rien était et traverse le rez pour sortir et directement arriver sur la terrasse. J’adore cet endroit. Tout comme j’adore mon balcon. Les espaces extérieurs c’est vraiment ce que je préfère. Mais chez Anna, il y a un peu de gazon et on pourrait presque avoir l’impression d’être allongé au bord de la mer si on s’installe sur l’un des transat posé plus bas. Mais l’heure n’est pas vraiment à la bronzette. Nous nous asseyons face à face et je la regarde sans cacher un petit air inquiet. J’ai déjà l’impression de me prendre un coup de poings en l’entendant dire très sincèrement qu’elle a effectivement un problème avec moi. Ces mots sont durs mais je les encaisse parce que j’ai envie de régler ces histoires. La jeune femme me remémore rapidement notre dernière conversation à la boutique et je ravale difficilement ma salive. Pour terminer, elle semble presque triste de me dire qu’elle peut comprendre que je veuille voir d’autres personnes. Et je me sens immédiatement coupable d’avoir été coucher à droite et à gauche juste pour le plaisir et pour penser à autre chose que ce que je ressens pour Anna. Je baisse les yeux et m’assure qu’elle ait terminé ce qu’elle avait à me dire. Je me remémore très distinctement notre conversation à la boutique et j’ai l’impression de me ratatiner sur mon siège.

« Ecoute… Je sais que j’ai vraiment pas été correcte ces derniers temps à te repousser à cause de tout ce que j’ai à gérer dans ma vie ne ce moment… Apparemment, tu as deviné que je voyais d’autres personnes mais c’est uniquement pour le sexe parce que… J’ai pas le temps pour davantage. » Je cherche les bons mots, j’essaie d’y aller en douceur. Mais je cumule mensonge sur mensonge. Si je l’évite c’est pour ne plus penser à ce que je ressens pour elle, si je couche avec d’autres, c’est pour ne plus avoir envie de le faire avec elle. « J’aimerais t’offrir plus mais tu mérites quelqu’un qui ait le temps pour toi. » J’avoue à demi que j’aimerais construire quelque chose avec elle mais je ne peux pas lui avouer mes sentiments. C’est beaucoup trop pour moi. Je n’ai jamais été avec quelqu’un de stable. J’ai toujours vécu des petites histoires et dès que ça devenait trop sérieux, je fuyais. J’ai toujours été comme ça et je ne pense pas qu’on pourra me changer. Cependant, je suis prête à faire des efforts sur un point… « Mais on peut faire un compromis. Tu as l’exclisivité. Je ne vais plus voir ailleurs et je ne vois que toi. Je ne pourrais pas te donner plus malheureusement… »

Certes, Sasha me manquait. Avec ces cinq années d'amitié derrière nous, je ne pouvais pas la rayer de ma vie aussi rapidement, surtout pas avec les sentiments que j'avais développé envers elle. Souvent, les petites choses de la vie quotidienne me faisait penser à elle et à un souvenir commun qu'on avait partagé. Cela peut paraître étrange, mais dès que je mange un produit bio, je pense à elle. Elle ne jure que par la culture biologique et c'est sans aucun doute la première personne que je connaisse qui y voue une réelle passion. Je l'admire pour ça. Sasha faisait partie de ma vie au quotidien dans mes pensées, même quand on ne se côtoie pas, même quand je décidais de prendre mes distances. On dit souvent que, lorsqu'on cherche à oublier quelqu'un, on y pense encore d'avantage et j'avais compris cet adage lors de ces dernières semaines loin de Sasha.
A présent face à elle chez moi, je me surprends à en oublier tous mes principes, toutes mes bonnes intentions d'en finir avec cette relation qui me fait plus de bien que de mal en ce moment. Mais après tout, si elle est venue aujourd'hui pour discuter, c'est bien parce qu'elle a pris le temps de réfléchir, non ? Peut-être a-t-elle pris conscience de ses erreurs et de son envie de construire quelque chose de plus concret. Je me perds alors un instant dans mes pensées, puis reviens à la réalité pour lui exposer concrètement ce que je lui reproche. Son regard se baisse alors, et je comprends qu'elle s'en veut de ne pas avoir réussi à me satisfaire mais bon, c'est un peu tard. Ce qui est fait est fait et j'ai appris qu'elle voyait d'autres personnes ; chose que je m'interdisais de faire en respect pour elle. Trop bonne, trop conne, comme on dit. Lorsqu'elle débute ensuite son discours de réponse, je sens qu'elle tente de se justifier du mieux qu'elle le puisse. Elle ne prend de son temps avec les autres que pour le sexe ; je masquais un rire nerveux dans la main que j'approchais de mon visage. Je remontais ensuite mon regard sur elle, dans le sien et écoutais la suite. Elle ne pouvait pas m'accorder le temps que je lui demandais ; j'en avais conscience et ce n'était pas une grande surprise de l'entendre de sa bouche. Néanmoins, elle me proposait de me laisser l'exclusivité. Se foutait-elle de moi, là ? Je croyais halluciné. Gardant mon calme, je rétorquais : « En gros, tu me demandes qu'on couche ensemble uniquement quand tu as le temps et l'envie de le faire, et tu me promets de n'appeler que moi dans ces cas-là ? » Je remuais la tête de droite à gauche puis attrapais l'ensemble de mes cheveux pour les emmener vers l'arrière de ma tête. Je replongeais ensuite mon regard dans le sien, tentant de lui montrer à quel point elle me décevais. « Tu l'as pourtant si bien dit, Sasha. Tu n'as pas de temps pour moi. » Un petit oiseau dans le grand chêne à quelques mètres de nous se fit entendre par un sifflement. J'y jetais un œil et comme mon regard était détaché, j'ajoutais avec dépit : « Avec moi, soit tu décides de te donner à fond, soit on en reste là et on reste simplement amies, c'est tout. Une relation d'amitié améliorée, c'est déjà ce qu'on avait et là, simplement avoir l'exclusivité en plus ? Ça ne m'intéresse pas. » L'ultimatum était lancé. Bien que je ne veuille pas la voir uniquement comme une amie, je ne pouvais pas accepter une relation entre les deux. A elle de se décider.

Je me retrouvait en quelque sorte au pied du mur mais comme c’était moi qui avait décidé de venir chez Anna pour parler, il ne me restait plus qu’à assumer et essayer de tout faire pour qu’elle me pardonne et qu’on trouve un compromis. Comme toujours lorsque je suis face à elle, mon cœur bat d’un rythme plus éffréné mais contrairement à d’habitude, il bat plus rapidement à cause du stress. Je suis quelqu’un qui a une grosse fierté mal placée et je n’aime pas quand on me dit mes quatre vérités. Anna me connaît très bien et elle se doute sûrement que si j’ai ravalé ma fierté pour venir la voir c’est que je tiens vraiment à recoller les pots cassés. Elle se doute que si je ne tenais pas à elle, je n’aurai pas pris la peine de me déplacer et surtout, je n’aurai pas le cœur qui bat aussi vite à cause du stress que ça me cause. Pourtant… La jeune femme que j’ai en face de moi est froide et distante. Elle est assise en face de moi mais on dirait qu’elle préférerait être à cent cinquante autres endroits plutôt que là. Chaque détail de son jardin semble l’intéresser alors il va falloir que je choisisse les bons mots pour attirer son attention et surtout qu’elle comprenne bien ce que je veux dire. Elle me demande de parler et j’ai beau mâcher mes mots je lui propose un compromis. Ce qui est déjà beaucoup pour moi. Je n’arrive pas à lui dire que je veux qu’on soit davantage parce que je ne suis pas quelqu’un qui ose se lancer à cent pour cent dans une relation amoureuse mais je lui promets qu’elle aura l’exclusivité. Mais Anna comprend tout de travers. Une grosse déception se lit sur son visage et très rapidement elle hausse le ton, me parlant d’une manière que je n’apprécie vraiment pas. Je veux bien faire des efforts et m’écraser platement devant elle en venant ici mais si elle me parle comme ça, c’est juste une preuve de plus que je n’ai pas à m’investir dans quelque chose avec elle. Je la fixe, secouant la tête. Je crois que je n’ai jamais été aussi blessée de toute ma vie. Et par-dessus tout ; je déteste qu’on me lance des ultimatums. Je sens que mon sang bouillonne dans mes veines alors avant de péter un câble pour rien, je recule ma chaise et me lève. « Je ne peux pas être la seule à faire des efforts. Je prends la peine de mettre ma fierté de côté en venant te parler, j’essaie de te faire comprendre que je tiens à toi mais toi tu me parles comme ça ? Je crois que ça sert à rien que je reste plus longtemps dans ce cas. » On est sensées être deux adultes. Je l’ai été en venant ici pour lui parler et elle, elle se braque, elle refuse tout ce que je lui propose, m’humiliant par la même occasion. Je ne suis pas venue pour me faire rabaisser et qu’on me repousse comme ça. Je contourne la table ainsi que sa chaise. « Je connais la sortie, merci. » Je pénètre dans la belle maison, traçant directement vers la porte d’entrée pour ensuite traverser le petit chemin de dalles qui mène à ma voiture. J’ai envie de crier, de pleurer, de frapper c’est affreux. Elle attend que je lui avoue mes sentiments, que je lui dise à quel point je l’aime mais moi, je ne peux pas faire ça, encore moins si en face de moi j’ai une personne qui me repousse. Elle doit m’aider, elle doit me pousser, m’aider à aller de l’avant, me prouver que je suis capable et là… C’est tout le contraire, elle me perd à jamais. J’ouvre la portière de ma voiture électrique et me laisse tomber derrière le volant, m’appuyant sur celui-ci pour me décharger de mon poids. Je ne pleurs jamais, ce n’est pas maintenant que ça va arriver mais je me sens vraiment humiliée et rabaissée à pire que de la merde.