learn to love again

Depuis mon retour à Town Square, une sorte de petite routine s’est installée. Je reprends doucement mes marques avec la ville. Elle n’a pas tant changé même si tout me paraît comme nouveau et étranger. Je me familiarise peu à peu avec cette nouvelle existence, ce nouveau départ. J’ai déjà mes petites habitudes, j’ai un petit travail. Pas très reluisant mais il m’aide à payer le loyer alors le reste m’est égal. Je veux juste prendre cette nouvelle chance qui m’est donnée à bras le corps et en profiter. Je retrouve le sourire, je me sens mieux dans ma peau. C’était finalement une bonne idée de partir et de revenir ici, sur les traces de mon enfance. Malgré cette peur qui m’a tordu l’estomac, aujourd’hui je sais que j’ai bien fait. Je sais que je ne le regrette pas. J’évite de penser à mon père que j’ai pourtant peur de croiser à chaque coin de rue mais ça ne m’empêche pas de vivre et d’avancer. Je dois encore me trouver un nouveau psychologue car j’en éprouve toujours le besoin mais je reste tout de même plus forte qu’avant. Plus déterminée. Je sais que je peux le faire, que je peux réussir. Je suis tout à fait capable de me débrouiller seule et d’y arriver. D’arriver à diriger ma vie comme je l’entends et ne pas échouer. Je crois en moi, je ne veux plus douter malgré mes peurs qui me taraudent encore. Car si je me laisse dicter ma conduite par mes angoisses alors je ne pourrai plus avancer. Je ne pourrai pas continuer ainsi et faire de ma vie quelque chose qui compte. Quelque chose qui a son intérêt. J’ai juste envie de me prouver à moi-même que j’en ai les capacités.
Ne reste que ma Joy avec qui tout est encore flou. Insensé. Notre histoire passée reste entre nous comme une gêne, un silence. Comme une sorte d’éléphant au plein milieu du salon. Notre passé commun est un sujet tabou que nous n’osons pas encore aborder. Comme si nous avions peur, comme si nous redoutions une conversation qui devait arriver. Et sa compagnie est pourtant comme une douce caresse, un doux baiser. C’est agréable de la retrouver, de la côtoyer à nouveau. C’est comme si je n’avais rien oublié de ce nous que nous avons autrefois formé. Je me sens timide et gauche à son contact pourtant si familier mais ça m’est égal parce que je ne veux pas précipiter les choses. Je veux prendre mon temps. Nous avons besoin de nous redécouvrir, elle a besoin de me pardonner, j’ai besoin de me réhabituer. Tout ça semble presque nouveau. C’était comme une nouvelle rencontre, une nouvelle histoire. Alors je me laisse porter par ce renouveau avec elle, comme si je goûtais aux prémices d’un futur bonheur. Le cœur gonflé d’espoir, j’espère retrouver la Joy qui m’aimait autrefois. Et même si je ne sais pas ce qu’elle ressent à mon égard, et même si je ne sais pas ce qu’il va advenir de nous, j’espère encore. J’espère toujours. J’aime à croire que tout est encore possible. J’aime à croire que je n’ai pas tout gâché par mon silence et ma disparition involontaire. J’espère vraiment qu’elle va pouvoir me pardonner. Je n’ose pas véritablement aborder le sujet mais je garde confiance. Je sais qu’il reste quelque chose entre nous, qu’il reste ce lien puissant entre elle et moi malgré l’espace et le temps. Alors je patiente. Un jour viendra où elle sera de nouveau ma Lana.
Quand je reçois un message de sa part, son image brillant sur l’écran de mon portable, j’ai le cœur qui fait comme un bond. Pensait-elle aussi à moi ? Et je ne peux qu’accepter son invitation à faire une balade dans le parc, sous le soleil d’été, comme une vieille habitude entre elle et moi depuis des années. Comme si nous avions nos petits rituels, comme si nous avions gardé cette sorte de bulle intime, cette sorte de monde secret qui n’appartenait qu’à nous. Je me prépare rapidement, le corps fébrile et la tête dans les nuages. J’ai comme l’impression de flotter alors que j’enfile mon haut en mousseline blanc et ma jupe en jean. Je veux me faire belle, je veux me sentir belle. J’ai envie de revoir cet éclat qui brillait autrefois dans ses yeux. Peut-être se souviendra-t-elle alors de notre proximité, de ces sensations que l’un et l’autre ressentions au seul toucher de nos deux corps enfiévrés. J’arrive un peu en avance au parc et je profite de la brise matinale pour respirer un grand coup. C’est bête mais je suis nerveuse à l’idée de la revoir. Je suis nerveuse parce que j’ai peur de faire un pas de trop, de faire un mouvement de travers. J’ai peur de trop précipiter les choses et j’ai peur d’être trop lente, trop réfléchie. J’ai peur de découvrir que, finalement, je me suis trompée sur toute la ligne et qu’elle ne voudra plus jamais de moi dans sa vie. Beaucoup de questions tournoient à l’intérieur de mon crâne mais je tente de calmer ce tumulte agaçant du mieux que je peux. J’ai seulement envie de profiter de sa compagnie, de profiter de ce moment avec elle. Nous ne savons pas de quoi l’avenir sera fait et si je ne peux pas changer le passé, je peux encore écrire notre futur. Je dois mettre toutes les chances de mon côté pour que ce soit un futur à deux mais s’il advenait qu’elle soit déjà liée à une autre personne alors je me devrai de le respecter. Cette seule idée me rend maussade et triste mais je sais que je devrai agir ainsi. Je ne souhaite que son bonheur et si son bonheur n’est pas avec moi alors je dois l’accepter. J’ai fait l’erreur de l’abandonner, je ne pouvais espérer qu’elle soit encore toute à moi à mon retour.
Sa vision me tire de ces pensées noires et je souris en la voyant. Sa robe légère épouse ses formes gracieuses de nymphe et le tissu flotte au gré du vent. Elle est si jolie, ma Joy. Se rend-elle compte à quelle point elle est belle ? Sans un mot, ses bras entourent mon corps un peu tremblant et je lui rends son étreinte dans un mouvement automatique. Comme si j’avais fait ça toute ma vie. Sa proximité amène une grande vague de chaleur à l’intérieur de moi et je peine à ne pas la serrer un peu plus fort. C’est si troublant de la sentir contre moi. Tout en marchant, nous échangeons les politesses habituelles entre deux silences gênés. C’est comme si nous restions hésitantes et apeurées. Comme si nous avions peur de nous blesser. Je suis quelque peu heureuse de voir qu’elle ressent ce même bouleversement que moi. Au moins, elle n’a rien oublié de cet émoi. Mais sa question sur ma vie sentimentale me prend un peu de court et je reste un court instant sans respirer. Que suis-je censée lui répondre ? Dois-je lui dire que je n’attends qu’elle, que je ne veux qu’elle malgré toutes ces années qui ont passé ? Dois-je lui mentir et prétendre une quelconque histoire amoureuse sans lendemain à laquelle je ne veux pas m’accrocher ? L’image de ce blond habitant chez elle me revient en mémoire et quelque chose pince dans ma poitrine. J’avais presque failli l’oublier. Mathéo. Certainement son petit-ami, celui qui partage désormais sa vie. « Non, je… Je n’ai personne, je rétorque finalement avec timidité sans oser ajouter quoi que ce soit. » Je dois sûrement avoir l’air un peu pathétique, ou au désespoir selon. Mais qu’importe. Je ne suis pas sûre que la réponse ait une quelconque incidence sur le reste, au fond. Ça ne changera rien à sa vie qu’elle apprendre que je sois célibataire ou non, c’était sûrement histoire de faire la conversation. « Et toi, avec Mathéo ? je demande après un petit silence, la fixant du coin de l’œil. Tout se passe bien entre vous ? Il a l’air d’être un gentil garçon. Il fait attention à toi ? » Je n’ai pas forcément envie de me rendre compte qu’elle vit le bonheur parfait avec monsieur blondinet mais ça me rassurerait. Je me dirais alors qu’elle est heureuse et que c’est tout ce qui importe à mes yeux.