Ses lèvres ne quittent plus les miennes, voilà déjà plusieurs semaines, voire même plusieurs mois que je n’ai pu toucher le corps d’une femme, et j’avoue que ça commençait à me manquer terriblement. Mes mains glissent dans son dos, sous son chemisier, et deviennent de plus en plus baladeuses. «Tu veux pas qu’on aille chez toi..?» C’est vrai que les toilettes d’un bar ce n’est pas ce qu’il y a de plus glamour pour flirter. Je réfléchis une seconde et sors mon téléphone de la poche arrière de mon jean pour regarder la date. «Mon coloc est parti pour quelques jours, j’ai l’appart pour moi toute seule...». Je me mordille la lèvre en souriant, et prends la main de Sam pour l’attirer hors du bar. Le chemin pour rejoindre mon appartement est bizarrement moins long que d’habitude. Je nous fait changer de trajectoire pour ne pas passer devant le bar de mon frère, au cas où il y soit pour une quelconque raison.

Je n’ai pas bu beaucoup, mais suffisamment pour avoir un peu chaud, surtout que le printemps commence à faire son apparition. En arrivant chez moi, je ferme la porte à clefs et laisse même la clef dans la serrure, au cas où que mon abruti de coloc ait décidé de rentrer plus tôt. La nuit que nous passons n’appartient qu’à nous, et j’ai enfin le plaisir de pouvoir ne faire qu’un avec une femme. Étonnamment, Sam n’a pas décidé de quitter mon appartement avant le petit matin, ce qui me rassure un peu. Je n’aime pas trop ce genre de situations, je me sens un peu comme une pute dans ce genre de moments.

C’est donc un matin câlin qui s’offre à nous, jusqu’à ce que quelqu’un sonne à la porte. Je préfère ignorer cet intrus et reprends mes baisers sur la femme qui partage mon lit à cet instant. Mais la sonnerie se fait plus intrusive, et c’est en soupirant que je me décide à me lever. J’attrape ce qui se trouve sous ma main - mon grand t-shirt de basket - et l’enfile tout en courant vers la porte d’entrée, que j’ouvre, les cheveux en bataille. Devant moi, Isaac, mon frère. J’ouvre grand les yeux. Oh mon dieu mon frère. «Hey ! Qu’est-ce que tu fais là ?». Il commence une phrase qu’il ne finit même pas, plissant les yeux pour me regarder un peu mieux. C’est là qu’il me demande si je ne suis pas seule. Je begaye quelque chose de complètement incompréhensible, et le voilà pris d’une pulsion, il me pousse d’un air presque rageux. Je ne sais pas s’il imagine que je couche avec Mathéo, ou quoi que ce soit d’autre, mais ce dont je suis certaine, c’est qu’il n’imagine pas une seule seconde d’avec qui j’ai pu passer la nuit.

Je prends son bras et le tire pour ne pas qu’il arrive dans ma chambre. «Non Isaac non ! Isaaaac !». Et avant qu’il n’ait atteint la poignée, Sam sort de ma chambre, mon drap enroulé autour de sa poitrine. Elle lève les yeux dans la direction de mon frère, qui nous regarde maintenant tour à tour. Lorsque je pose le regard sur Sam, je comprends ce qu’elle imagine : qu’Isaac est mon mec. «C’est...». Je lâche un rire nerveux. «Non non non... c’est mon frère.». Je me tourne désormais vers mon frère, je ne sais même pas s’il comprend ou pas vu les yeux surpris qu’il arbore à cet instant précis. Je plante mon regard dans le sien. «Tu veux bien m’attendre là 5 minutes ?». Je lui montre le canapé et lui fais signe de s’asseoir, et je prends la main de Sam pour l’emmener dans ma chambre, puis je ferme la porte derrière nous. A la fois gênée et perturbée par la venue de mon frère, je réfléchis déjà comment je vais pouvoir lui dire tout ça, je ne m’attendais pas à devoir lui parler de mon homosexualité ce matin. «Mon frère n’est pas au courant, enfin n'était pas au courant.» dis-je en passant ma main nerveusement dans mes cheveux. «De quoi tu parles ?» «Il sait pas que j’aime les femmes.» «Ah. Oh.» Je soupire un peu et la regarde faire demi tour pour se rhabiller. «Je suis désolée, j’aurai largement préféré passer la matinée avec toi...» «T’inquiètes pas.». Une fois habillée, elle dépose un baiser au coin de mes lèvres. «Bon courage alors !». J’esquisse un mini sourire, enfile un jean et sort en même temps qu’elle pour la raccompagner jusqu’à la porte d’entrée. Une fois celle-ci fermée, je me dirige vers le canapé où m’attend Isaac. Je me laisse tomber dedans en soupirant, et le regarde longuement. Je ne sais même pas par où commencer, à la fois j’ai envie qu’il sache, et à la fois j’ai honte de ne pas lui avoir dit avant, je ne sais pas réellement de quoi j’ai peur. «Je... Pardon. J’aurai dû te le dire avant que tu t’en rendes compte tout seul, surtout comme ça...». Le problème, c’est que je ne suis même pas sûre qu’il ait vraiment compris ce qui se passe, ou pire, qu’il essaie peut être de se persuader que son idée est fausse...

« Tu es sûre que ça ira. » « Mais oui Isaac. Je me sens mieux, maman est là. Ca ira. Tu as besoin de te changer les idées et vous attendez ça comme des gamins. Vas-y. Je t’appelle si ça ne va vraiment pas. D’accord ? » « D’accord… Je t’aime. » J’embrasse Shanae et finis par quitter notre chambre sans oublier le sac à dos que j’avais préparé la veille. Elle va un peu mieux depuis quelques jours et j’avais promis à ma petite sœur de l’emmener faire un road-trip. J’avais pensé faire cela un peu plus tard, quand Shanae serait totalement guérie, mais elle a insisté pour que je parte deux jours avec ma sœur. Je ne vais pas le cacher pour une fois je suis assez d’accord avec elle. Je crois que j’ai besoin de cela. De prendre l’air un peu. Je m’en veux de laisser mes enfants et ma chérie, mais c’est eux qui me poussent dehors. Enfin surtout Shanae et sa mère aussi. Je passe dans les chambres de mes petits bouts pour leurs faire un bisou et finis par descendre prendre un café. Je dois dire que je suis tout excité à l’idée d’enfin sortir et surtout de partir avec Lana. Je l’ai prévenu il y a trois jours, mais connaissant Lana, je lui ai renvoyé un texto hier dans l’après-midi pour lui rappeler. J’ai vraiment hâte de me mettre derrière le volant et de laisser Lana décider de la route. Comme lorsque nous étions adolescents. Quand le seul souci qu’on avait dans la vie était nos parents. A l’époque où je n’étais pas papa et où ma petite amie allait très bien. Enfin. Il ne faut pas que je pense à cela. Pas aujourd’hui. Ni demain. Non il faut juste que je profite un peu. C’est tout. J’avale mon café et quelques céréales avant de jeter un coup d’œil à ma montre. J’avais prévenu Lana, on part tôt pour en profiter le plus possible. J’allais mettre mon sac dans la voiture lorsque ma belle mère se gare dans l’allée. On discute quelque peu et elle finit par me pousser à filer elle aussi. J’avoue avoir tout de même une seconde d’hésitation en m’installant derrière le volant. Je regarde la maison et soupire quelque peu. Je m’en veux de faire passer mes envies avant, mais Shanae n’as pas arrêté d’insister pour que j’y aille. Je la connais et elle serait capable de me bouder si je ne pars pas. Alors après un dernier regard sur ma maison je démarre ma voiture direction l’appartement de ma sœur.

Lorsque je sonne personne ne réponds. Bizarre. Je l’ai pourtant prévenu plusieurs fois et je suis même en retard sur l’horaire prévu. Je sonne une nouvelle fois. Non mais elle ce moque de moi ou quoi ? Je sonne une nouvelle fois et finis par entendre du bruit dans l’appartement. « Hey ! Qu’est-ce que tu fais là ? » Non mais c’est une blague ? J’étais vraiment heureux en partant de chez moi, mais j’ai l’impression que ça ne va pas durer très longtemps. « Tu te moque de moi, je t’ai… » Je ne finis même pas ma phrase en remarquant le look de ma sœur. Qu’elle sorte du lit, je veux bien le croire, mais là c’est… Suspect. Elle à l’air tout sauf heureuse de me voir, elle porte un tee-shirt qu’elle a mis à l’envers et ne parlons pas de ses cheveux. J’y crois pas. Elle m’oublie pas pour s’envoyer en l’air avec son colocataire. Elle m’avait assuré qu’elle couchait pas avec lui en plus. Je ne sais pas ce qui me prend, mais je pousse Lana et me dirige vers le couloir qui mène à sa chambre. Je sais pas pourquoi, mais j’ai envie d’aller dire à ce Mathéo d’enlever ses sales pattes de ma sœur. Il a pourri mon idée, il a pourri ma journée, il va payer. « Non Isaac non ! Isaaaac ! » Je n’écoute même pas ma sœur. Je sens qu’elle me retient par le bras, mais fait abstraction. Je suis vraiment remonter, mais je m’arrête d’un seul coup lorsque c’est une femme qui sort de la chambre de Lana, enroulée dans un draps. Non mais. Ils sont combien là-dedans. La jeune femme me pointe du doigt tandis que ma sœur explose de rire. « Non non non... c’est mon frère. » Quoi ? Pourquoi elle rigole ? Et pourquoi l’autre ce pose des questions ? Non mais où j’ai atterris sérieusement. J’ai l’impression de ne plus rien comprendre d’un seul coup. Plus surpris que jamais et un peu perdu je tourne la tête vers ma sœur qui semble bien tendue d’un seul coup. « Tu veux bien m’attendre là 5 minutes ? » Je hoche doucement la tête et vais m’asseoir sur le canapé tandis que Lana disparaît avec son invité.

Ma sœur et une fille ? Non mais sérieux. Je suis persuadé que c’est ce Mathéo. Il fait faire des choses dingues à ma sœur. Il a intérêt à ne pas sortir de sa chambre celui-là, sinon je vais lui refaire le portrait moi. Il ne va rien comprendre à sa vie c’est certains. Les minutes passent et je continue à fulminer tout seul dans mon coin. Je suis vraiment loin d’imaginer ce qui va arriver par la suite. J’entends du bruit et finalement Lana réapparaît dans le salon avec son amie qui quitte un peu précipitamment l’appartement. Finalement ma petite sœur vient s’installer à côté de moi. Je ne la lâche pas du regard. Il va falloir qu’elle m’explique maintenant. « Je... Pardon. J’aurai dû te le dire avant que tu t’en rendes compte tout seul, surtout comme ça... » Je l’écoute à peine. Ou tout du moins, j’ai du mal à comprendre où elle veut en venir. « Il où l’autre abrutit ? Il a peur ? » Moi énerver ? Pas du tout. Je croise le regarde de Lana et je comprends que cette fois c’est elle qui est surprise. Alors. Il n’y avait pas Mathéo dans la chambre. « Attends… T’étais toute seule avec cette fille ? » J’ai un peu de mal à suivre. J’ai toujours vu ma sœur avec des garçons. Je n’ai rien contre les couples homosexuels, loin de là, mais… Je pensais que ma sœur m’aurait dit ce genre de chose. Non c’est pas possible. C’est juste une petite aventure comme ça. « Tu… Mais je t’ai toujours vu avec des mecs… » J’ai un peu du mal à comprendre. Je ne veux pas la juger, loin de là. Après tout, je cherche uniquement le bonheur de ma petite sœur, mais là j’ai du mal à suivre. « Pourquoi tu m’as rien dit ? » En fait je ne sais pas si c’est pas ça qui me pose le plus de problème. Qu’elle m’est rien dit. Car visiblement cela fait un moment qu’elle est au courant de son orientation sexuelle. C’est comme si elle avait eu peur de ma réaction. « Je suis un peu perdu là… »

La journée qui commençait plutôt bien, commence à prendre des allures de drame. Avec tout ça, j’avais complètement oublié que je devais partir avec Isaac faire notre road trip rien que tous les deux pendant tout le week end. Je sens que le temps se gâte. Je demande à mon frère de s’asseoir sur le canapé en attendant que je mette quelque chose au clair. A vrai dire, j’aurai bien préféré rester là dans ma chambre pendant toute la journée pour ne pas avoir à faire à mon frère. Pourtant je sais que je repousse cette discussion depuis trop longtemps, mais j’ai tellement peur de sa réaction...

Je finis par raccompagner Sam en m’excusant une nouvelle vois, puis je rejoins Isaac dans le canapé, cette fois habillée plus décemment, et après avoir mis de l’ordre dans mes cheveux. Je me racle un peu la gorge, je ne sais pas par où commencer. Je commence déjà par m’excuser de ne pas lui en avoir parlé avant, mais je me rends compte qu’il n’y est pas du tout, au moment où il parle de Mathéo. « Il est où l’autre abrutit ? Il a peur ? ». Surprise par sa question et surtout par son agressivité soudaine, je prends un peu de recul, les yeux complètement perdus. «Tu... tu crois quand même pas que je couche avec Mathéo ? Isaac je...» Il me coupe dans mon élan, après avoir visiblement reconnecté son cerveau. « Attends… T’étais toute seule avec cette fille ? ».

Son regard, je crois que je n’ai jamais vu Isaac poser ce regard sur moi. Un mélange d’incompréhension, m’amertume, presque de dégoût. Pas de dégoût en rapport avec les homos parce que je sais qu’il n’est pas homophobe, mais plutôt du dégoût envers moi qui n’ai jamais pris le temps de lui dire une chose pareille. Ma respiration s’accélère en même temps que mon coeur se met à battre un peu plus vite. Quoi dire ? Je n’ai pas le temps de répondre qu’il enchaîne. « Tu… Mais je t’ai toujours vu avec des mecs… ». Je soupire un peu, avant de finalement prendre mon courage à deux mains pour ouvrir la bouche. «Oui c’est que... je me suis longtemps caché la vérité à moi même, avant de la cacher aux autres. J’ai été avec des garçons pour essayer de me forcer à être comme tout le monde, mais j’en ai eu marre de me forcer.» Je soupire un peu et baisse les yeux, gênée de cet aveu et surtout de la manière dont ça se fait. « Pourquoi tu m’as rien dit ? ». Je sens qu’il est blessé, sa gorge a l’air nouée. «Isaac c’est pas contre toi j’te promets, pratiquement personne est au courant, ça fait pas très longtemps que je suis sûre de ce que je suis, ça a déjà pas été facile de me l’avouer à moi même alors t’en parler à toi ...!».

Un silence s’installe, pesant. « Je suis un peu perdu là… ». «Je suis désolée. J’aurai dû t’en parler avant mais j’ai jamais trouvé le bon moment, c’était trop dur je... je sais pas j’avais peur que tu le prennes mal.». Les larmes commencent à me monter aux yeux, je n’aime pas cette situation, je n’aime pas avoir été prise sur le fait sans avoir préparé mon discours, je n’aime pas faire de peine à mon frère. «J’ai toujours été ta petite princesse et je crois qu’au fond j’avais peur de te décevoir, que je sois pas la petite soeur parfaite qui va épouser un joli mari et avoir de beaux enfants. Pardon.». Une larme perle sur ma joue et je relève les yeux en direction de mon frère, en espérant qu’il dise quelque chose, qu’il fasse quelque chose. Je ne sais pas quoi faire, quoi dire. Je finis par tenter l’humour. «Au moins, tu es sûr que je couche pas avec Mathéo !». j’esquisse un sourire avant de le perdre instantanément, reniflant et essuyant mes larmes d’un revers de main. «Pardon.»