15 novembre 2013

Lunettes sur le bout du nez, recroquevillée sur le canapé, je continue mes recherches de boulot, mais rien n’est très concluant. Matt -mon coloc- entre dans l’appart et me jette un journal matinal en pleine tronche, accompagné d’un «Tiens, y’a une annonce qui pourrait t’intéresser là dedans !». «Si tu as regardé côté rencontre, ça m’intéresse pas abruti !». On s’aime beaucoup avec Matt, on se connaît depuis plusieurs années, mais ça ne nous empêche pas d’avoir un moyen de communication un peu spécial. J’ouvre donc le journal à la page des petites annonces de travail, et tombe sur cette annonce. Un grand journal réputé de Town Square cherche quelqu’un. Rien n’est dit de plus sur l’annonce, mais après tout, je n’ai pas de boulot, et bosser dans un journal, même en temps qu’assistante et servir des cafés, ce sera toujours ça. Il faut bien commencer par quelque part. Je passe un coup de fil et tombe sur une assistante qui me donne une heure de rendez vous. Je file en vitesse me préparer et me rends au journal, à peine une heure plus tard. Je me suis faite jolie, au cas où le rédacteur en chef soit un homme, ça peut toujours aider. Je n’ai pas poussé jusqu’au grand décolleté, je ne vais pas me prostituer non plus, faut pas abuser !

Dans la salle d’attente, nous sommes une petite dizaine à prétendre au même poste. J’essaie de ne pas trop regarder les jeunes femmes, je me concentre, CV en main, mes mains commencent à être moites. L’assistante m’appelle finalement. «Melle Fitzgerald ?». Je me lève et la rejoins. Tout bas elle me donne une consigne, une seule : «Surtout ne lui posez aucune question, écoutez-là, répondez lui si elle vous demande quelque chose, mais ne posez aucune question.». Je hoche la tête, ce n’est pas le moment de demander pourquoi. Ça risque d’être difficile vu comme je suis, la curiosité incarnée.

J’entre dans le bureau après avoir posé mes yeux sur la porte. Erin K. Chaney, rédactrice éditorialiste. Une fois la porte refermée, je peux poser mon regard sur ma potentielle patronne. Une femme donc. Elle n’est pas très grande, mais pas petite non plus, à peu près la même taille que moi, brune, les cheveux ondulés tombant en cascade sur ses épaules. Elle porte des lunettes de soleil, je ne peux pas voir ses yeux. Elle se lève, ne quittant pas le contact de sa main avec son bureau, et s’avance vers moi en me tendant sa main pour se présenter. Je serre la serre en essayant d’être le plus naturelle possible sa main est glacée. «Bonjour, Lana-Joy Fitzgerald, enchantée.». Aucun sourire, rien, elle lâche ma main et refait le tour de son bureau pour finalement s’asseoir et elle me demande d’en faire autant. Sans broncher, je m’assieds et la regarde avec plus d’insistance. Visiblement, elle est aveugle ou au moins mal voyante. J’essaie de rester un peu discrète au cas où. L’entretien se passe très bien malgré la froideur de la jeune femme. Pourtant, elle est magnifique, c’est assez étrange l’impression que j’ai, comme si je ressentais quelque chose de plus profond que cette froideur qu’elle montre. Elle me pose quelques questions et me demande finalement de lui lire un article, je m’exécute. L’entretien touche à sa fin et je lui serre une nouvelle fois la main avant de sortir.

Le soir même je reçois un appel de la jeune assistante qui me dit que ma ‘voix’ a été choisie pour être la liseuse de Melle Chaney. Je me contiens et une fois raccroché, je saute dans tous les sens. Ce n’est pas le poste le plus glorieux que je connaisse, mais allez savoir pourquoi, je suis toute folle...

Aujourd’hui

Voilà un peu plus d’un mois que je travaille pour Erin. Je peux dire Erin parce que depuis quelques jours, elle m’a demandé de la tutoyer. Je prends ça comme une chance vu que même son assistante ne la tutoie pas. Elle est toujours un peu froide, mais j’ai réussi à l’apprivoiser doucement, avec ma bonne humeur, ma fraicheur, mon humour. Je n’ai jamais lâché le morceau, même si j’aurai pu me décourager plus d’une fois. J’ai quelques fois posé des questions qui sont restées sans réponse. Je pense qu’elle est du genre à avoir besoin d’être vraiment en confiance pour arriver à parler et à se confier.

Assise dans le grand sofa qui habille le bureau d’Erin, je griffonne sur un cahier de dessin. Elle n’a pas besoin de moi tout le temps, mais ça peut venir à n’importe quel moment. Pour les petites choses, elle utilise une machine qui traduit l’écrit en braille, qu’elle sait bien lire. Son handicap ne date donc pas d’hier. Mais pour les longs articles écrits à la main, la machine a plus de mal, et c’est là que j’interviens. Pour plein d’autres petites choses aussi, je l’aide dans d’autres tâches du quotidien. Je m’y suis faite, au départ je me sentais un peu diminuée, mais au final, je me suis attachée à ce boulot, et à Erin, aussi et surtout. Aujourd’hui je peux déceler quelques uns de ses sourires, et j’ai tout le loisir de la regarder, la décrire, et même la dessiner, ce que je suis en train de faire d’ailleurs. Je sursaute à moitié quand elle me demande ce que je dessine. Elle me surprend encore quand elle arrive à savoir ce que je suis en train de faire, sans pouvoir me voir. «Un... euhm... ton chien !». Ok j’ai trouvé que ça. Son gentil golden est couché à mes pieds, je crois qu’il m’apprécie, et je préfère lui dire que je dessine son chien, plutôt qu’avouer que j’ai légèrement le béguin pour elle. Mes yeux glissent sur son visage, ses lèvres parfaitement dessinées. Elle a tendance à me troubler, mon coeur s’accélère d’un coup et j’essaie tant bien que mal de me calmer.

Quelqu’un frappe à la porte, Erin donne son «oui» pour laisser entrer son assistante qui lui apporte un thé, et le pose sur le bureau. Un remerciement et elle sort directement du bureau sans broncher. Erin porte la tasse brûlante à ses lèvres, et un petit cri me fait relever les yeux. Elle a renversé la moitié de sa tasse sur son chemisier. J’accours vers elle «Erin ça va, tu t’es brûlée ?». J’attrape quelques mouchoirs en papier et sans réfléchir j’essuie sa chemise. Elle est debout et je suis très, trop près d’elle, pourtant elle se laisse faire. Mes mains tremblent à moitié, ça faisait un moment que je ne m’étais pas sentie comme ça. Ma respiration s’accélère légèrement et j’essaie de calmer mes pensées qui fusent un peu trop vite.

«Tu veux que j’te prête la mienne ? J’ai un t-shirt en dessous...». Ok là ça va encore trop vite pour moi, et les mots sortent de ma bouche dans que je ne les ai autorisés. Je m’attends à ce qu’elle me remballe comme elle sait très bien faire, mais au lieu de ça elle semble hésiter face à ma proposition...

Je n’arrive pas à décoller mes yeux de sur Erin, c’est plus fort que moi. Quand elle travaille, quand elle réfléchit. En à peine plus d’un mois j’ai quasiment appris par coeur ses habitudes, sa manière de taper sur son ordinateur, la voix qu’elle prend pour répondre au téléphone, celle qu’elle prend pour me parler ou me demander quelque chose. C’est marrant comme elle adapte le ton de sa voix ou sa façon de parler en fonction de son interlocuteur...

Pendant que je dessine son visage sur mon carnet de croquis, mes yeux jonglent entre mon crayon et Erin, qui est super concentrée sur son ordinateur. Je suis admirative. Elle tape énergiquement sur les touches sans rien voir, c’est fou. Quand elle me demande ce que je dessine, je balbutie quelque chose de limite incompréhensible, prise à mon propre piège. Heureusement pour moi, la secrétaire d’Erin fait son entrée, apportant une tasse de thé. Mais à peine passé la porte, j’entends Erin crier et je me précipite vers elle, comprenant qu’elle s’est brûlée avec son thé. Je l’aide un peu à essuyer ce que je peux avec des mouchoirs en papier, et je sens que je deviens rouge écarlate au moment de passer les mouchoirs au niveau de sa poitrine, et d’ailleurs, je m’arrête très rapidement, me sentant complètement désemparée.

Je lui propose finalement ma chemise, puisque j’ai un débardeur en dessous, elle semble hésiter mais me dit finalement : « non c’est bon normalement j’en ai une dans le placard à gauche, deuxième rangée derrière un carton. Je veux bien la chemise blanche s’il te plait. ». Je m’exécute en faisant un hochement de tête même si je sais qu’elle ne le voit pas. Je farfouille donc dans le placard, gardant en tête toutes ses indications, et je tombe finalement sur la fameuse chemise, et la prends dans mes mains avant de me retourner.

A cet instant, je reste complètement bloquée devant le spectacle qui s’offre à moi. Erin est là, juste devant moi, à deux mètres à peine, sa chemise est déboutonnée et elle tient les deux pans de celle-ci sûrement pour éviter le contact du tissus mouillé sur sa peau. Son ventre est contracté et je peux voir se dessiner de fins abdominaux. Elle porte un soutien gorge noir à la fois sobre et sexy. Je sens une vague de chaleur s’emparer de moi alors que j’essaie tant bien que mal de rester concentrée, ce qui est loin d’être facile.

Je m’approche un peu plus d’elle en essayant de ne pas trop m’attarder sur son corps qui semble si parfait. «Tiens, j’ai trouvé.» Elle tend une main vers moi et j’y dépose la fameuse chemise. «Je... je me retourne, je regarde pas.». Je me sens tellement déstabilisée que j’ai presque du mal à bouger de devant elle, mais je finis par faire rapidement le tour du bureau pour retourner m’asseoir sur le canapé. Elle retire sa chemise et même si je me fais violence pour ne pas regarder, mes yeux sont indéniablement attirés par son corps. Elle est de dos à moi, mais je peux quand même voir la cambrure de son dos, de ses reins, je commence à devenir folle il faut que je me calme... Je me force donc à fermer les yeux et je prends une grande inspiration pour aérer mon cerveau.

Une fois ma patronne remise au travail, je sens qu’il faut que j’aille prendre l’air. J’ai besoin de respirer, mon attirance envers elle devient légèrement difficile à gérer. Je me lève alors et lance d’un coup : «Je vais aller emmener ta chemise au pressing, j’ai besoin de prendre l’air et j’ai un coup de fil à passer. A tout à l’heure !» Je n’ai même pas demandé la permission, j’ai besoin de souffler. Je récupère sa chemise et sors du bureau en fermant la porte derrière moi. L’assistante me regarde bizarrement et je lui adresse un petit sourire avant de sortir.

Environ 15 minutes plus tard, je suis de retour dans le bureau d’Erin. Je frappe et attends qu’elle me dise d’entrer. Une fois fait, elle me demande avec un petit sourire si tout va bien. «Ça va, j’ai un peu la tête ailleurs, c’est rien. Tu as besoin de moi pour quelque chose ?». Je m’approche d’elle comme j’ai l’habitude de faire, et je pose mes fesses sur le bout du grand bureau, non loin d’Erin. Elle s’arrête de travailler un moment et s’adosse sur son siège, j’ai ainsi tout le loisir de la regarder. «Erin j’peux te poser une question ?». Elle acquiesce et tourne la tête dans ma direction. «Il t’est arrivé quoi exactement ? Pourquoi tout le monde se pose la question mais personne ne sait ?». Je sais que je suis encore une fois face à quelque chose qui pourrait me coûter mon poste, ou pire notre complicité naissante, mais c'est plus fort que moi...