La psychologie du retard compulsif.
J'allais me faire tuer par ma psychologue. Enfin pas littéralement, mais j'étais bon pour avoir un avertissement de sa part. Un deuxième avertissement qui plus est. J'étais déjà arrivé en retard la semaine précédente et j'avais eu une belle tirade de sa part, que la ponctualité était essentielle et qu'elle voyait dans mon retard un manque d'implication de ma part et une absence de volonté. Elle avait tiré tout une idée, absurde en plus, comme quoi mon retard symbolisait un blocage de mon passé et qu'il fallait que j'arrive à dépasser ce stade pour pouvoir avancer. Cette psychologue était tarée. J'étais juste arriver en retard quoi. Je n'avais pas tué quelqu'un. Enfin le plus juste était de dire, je n'avais pas une nouvelle fois tué quelqu'un.
«
Taxi ! Taxi ! Putain de bordel, mais arrête-toi, connard. ». Je jurais sur place, au bord de la route alors que les quelques taxis qui passaient étaient soit occupés, soit n'avaient pas la moindre envie de bosser. Ou alors, ce que je ne m'avouais pas, ils n'avaient pas envie de prendre un mec énervé comme je l'étais et préféraient faire ceux qui ne m'avaient pas vu. C'était tout aussi probable et cela ne faisait que m'énerver davantage. Un putain de cercle vicieux. Et les minutes défilaient.
Certains pouvaient avoir la débilité de penser que j'aurais pu y aller moi-même en voiture. En Amérique, il était peu commun que des jeunes de mon âge n'aient pas de voiture et pourtant, je n'avais pas de voiture. Je n'avais pas de permis non plus. Je n'étais pas Américain de toute manière, donc cela réglait l'histoire. Je regardais à droite et à gauche, pas de taxis en vue, je n'avais pas avancé d'un pouce mais les aiguilles, elles, ne m'attendaient pas pour défiler à une vitesse folle.
«
Putain, je vais être grave en retard. ». Je me répétais cette phrase dans ma tête depuis tellement longtemps qu'elle était finalement sorti à voix haute sans que je ne retienne ma rage en regardant l'heure qu'affichait ma montre.
«
En retard, en retard. J'ai rendez-vous que'que part. Je n'ai pas le temps de dire au revoir. Je suis en r'tard, en r'tard. ». Un gamine à côté de moi, tenant la main de sa mère, venait de prononcer les paroles du lapin d'
Alice aux Pays des merveilles en me regardant avec un grand sourire. Je détestais les gosses, encore plus les gamines de ce genre. Je l'ignorais complètement en traversant la route pour rejoindre le trottoir d'en face.
Toujours pas de taxi, plus un seul ne passait désormais. Ils me fuyaient comme la peste. C'était mort. Au point où j'en étais, j'irais plus vite à y aller à pied. Soupirant, je commençais à marcher d'un pas rapide vers le cabinet de ma psychologue qui se trouvait un peu excentré du quartier de la Vieille ville, le quartier animé où je vivais. Un pas, un autre, puis un autre, de plus en plus rapidement, et ainsi de suite, j'arrivais enfin devant l'immeuble de type post-colonial et sonnait à l'entrée. La porte s'ouvrit dans un grincement sourd et je rentrais dans l'entrée, appuyant sur le bouton de l'ascenseur pour me rendre au premier étage. Certes, j'aurais pu prendre les escaliers mais après cette longue marche, j'avais légèrement la flemme. Légèrement était un euphémisme. Et ce n'était pas deux minutes qui allaient changer quelque chose dorénavant. Au point où j'en étais, je me préparais au nouveau sermon de ma psychologue. Je me demandais ce qu'elle allait me sortir cette fois, que si j'étais encore en retard, c'était sans doute parce que j'avais un retard mental ou un truc du genre. Je riais à ma remarque et c'était toujours rieur que j'appuyais sur le bouton ''Sonner et entrer'' et j'entrais donc.
Je m'arrêtais brusquement devant l'encadrement de la porte en constatant le visage connu qui se trouvait dans la salle d'attente. Une jolie jeune femme, blonde, la vingtaine, je ne connais pas son prénom, tout ce que je savais, c'était que je la croisais à chacun de mes rendez-vous. Elle était la patiente qui avait rendez-vous avant moi. Avant moi. Je regardait ma montre en fronçant les sourcils. J'étais pourtant sûr d'avoir rendez-vous en ce moment même, j'avais même dix minutes de retard, me serais-je trompé ? Je m'étais pressé pour rien ?! J'étais particulièrement agacé et en même temps soulagé de ne pas recevoir un nouveau sermon. Pourtant, j'avais un doute. Peut-être que pour une fois, l'inconnue avait changé son horaire. Et là, j'étais bien en retard. Mais, maintenant que j'y pensais, je n'avais plus la moindre idée à l'heure à laquelle j'avais rendez-vous. Je me demandais comment la psychologue aurait interprété cela.
«
Pardon, vous avez rendez-vous à quelle heure ? J'ai l'habitude de vous voir sortir du bureau de la psy avant moi et... enfin, je pensais être en retard. ». J'avais un peu bredouillé, je cachais ça derrière un petit rire en avançant vers l'inconnue.