Kiara et moi sommes ce que l'on appelle des amies de longue date. Enfin, si on considère que 6 ans est une longue date. On s'est rencontrées, on était encore des adolescentes. Elle était amie avec Isaac, et je suis devenue la petite amie de ce dernier. J'ai appris à connaître la jeune femme et nous avons rapidement trouvé des points communs dans nos personnalités. Elle a souvent été là pour m'épauler dans certains de mes choix, elle m'a souvent sauvée de situations bizarres, elle m'a souvent écoutée, je l'ai souvent écoutée, bref, le genre d'amie qu'on ne trouve pas au 4 coins d'une rue. Le genre d'amie qu'on fait tout pour garder près de soi le long de sa vie.

Quand elle m'a avoué qu'elle voulait être militaire, j'avoue que ça a été un coup dur. J'avais peur pour elle, mais c'est ce qu'elle aimait, ce qu'elle voulait, alors je l'ai poussée à faire ce dont elle rêvait plus que tout. Et elle a réussi tous les concours d'entrée haut la main. Je suis tellement fière d'elle, je l'ai toujours été.

Lorsqu'il y a six mois je suis partie pour combattre seule mon cancer, j'ai eu envie de l'appeler mille fois, lui dire la difficulté que j'avais à quitter Isaac et ma fille Théa. Mais je ne pouvais pas lui dire. Elle est aussi très amie avec Isaac, et je sais qu'elle n'aurait pas pu garder un si lourd secret, et voir son ami sombrer dans une profonde dépression sans rien lui dire alors qu'elle savait tout. Alors j'ai pris le parti de ne rien lui dire, à elle non plus. A Town Square, personne n'était au courant, seulement ma mère. Au mois j'étais sûre qu'il n'y aurait pas de fuites.

Dès mon retour, je n'ai pas mis plus de 2h avant de courir chez Isaac pour lui dire que j'étais rentrée, et surtout lui expliquer pourquoi j'étais partie. Ça a été difficile, autant pour lui que pour moi, mais au moins maintenant il sait la vérité, et les choses se passeront comme elle se passeront, l'avenir nous le dira. Après la visite à Isaac je suis passée voir Nathan à l'hôpital, j'avais besoin de parler, de me vider, lui expliquer tout ce que je venais de vivre avec le père de ma fille. Ça m'a fait beaucoup de bien. Et puis je lui ai parlé de Kiara. Je ne crois pas lui avoir donné le prénom de mon amie. Je pense que j'aurai vu son regard changer de couleur si ça avait été le cas. Et il m'a poussée à aller la voir pour tout lui dire à elle aussi. Il m'a dit que je ne m'en sentirai que mieux. C'est alors ce que je fis.


Je frappe quelques coups à la porte de l'appartement de Kiara. J'espère qu'elle est là. J'ai cru comprendre qu'elle était rentrée d'une mission de quelques mois, et surtout, j'ai appris le décès de sa maman que j'aimais beaucoup. C'est tellement dur de savoir qu'on n'a même pas pu être là pour aider une de ses amies la plus proche dans un tel moment. Kiara ouvre sa porte et je vois son regard se décomposer. Je ne suis rentrée que depuis le début de la journée, je dois certainement parraître fatiguée, et je suppose que mes cheveux courts me donnent une autre tête. Impossible de savoir, je ne me regarde que trop peu de temps dans le miroir depuis 6 mois. «Hey...» lui dis-je timidement avec un espèce de mini sourire en coin, terriblement désolé. Je ne sais pas quoi dire, quoi faire, je sais qu'elle va m'en vouloir, Kiara est comme moi, elle a du caractère et n'est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, et encore moins du genre à pardonner facilement à une amie qui est partie du jour au lendemain sans nouvelles.

Je baisse les yeux, d'un air fautive, avant de les relever vers elle. Je me lance alors dans une tirade, là, sur son palier. «Je suis désolée Kiara, je suis désolée d'être partie comme ça sans rien dire, mais maintenant je suis là et j'ai besoin que tu saches pourquoi je suis partie. Je m'en veux de pas avoir été là quand tu en avais besoin, j'ai pas été l'amie parfaite, je m'en veux terriblement, mais s'il te plait laisse moi juste quelques minutes pour t'expliquer... s'il te plait.»
D'habitude je ne suis surtout pas du genre plaintive, mais pour arriver à ce qu'elle m'écoute, je n'ai pas le choix que de la supplier d'écouter ce que j'ai à lui dire. Après elle aura tout le loisir de m'engueuler, et me jeter dehors si elle a envie, ce que je comprendrai aisément...

Il faut que je trouve les mots justes, il faut que je la convainque de me laisser lui parler, qu'elle m'écoute, qu'elle sache au moins une bonne fois pour toutes pourquoi j'ai disparu si brutalement. Je ne lui demande pas de me pardonner, pas tout de suite, mais juste de m'écouter quelques minutes. Un noeud à l'estomac, tous mes membres crispés, je suis devant chez elle et je lui supplie de me laisser lui parler. Je sens sa colère d'ici, on dirait qu'elle boue, qu'elle va exploser d'une seconde à l'autre. Ses bras croisés sur sa poitrine, Kiara fronce les sourcils un peu plus à chaque mot sortant de ma bouche. « Tu es désolée ? ». Je serre les dents. Je sais qu'elle n'est pas du genre violente mais j'en viens à presque avoir peur qu'elle me donne une jolie baffe. Je la mériterai bien...

« Très bien, entre, je t'écoute. Mais je ne te laisserai pas de deuxième chance, Sha. Tu as intérêt à avoir la meilleure des raisons du monde et crois-moi, j'en doute franchement. ». Mon coeur bat à une vitesse folle dans ma poitrine, et si ma raison ne lui suffisait pas, et si elle ne voulait plus jamais me revoir. Kiara est une de mes meilleures amies, et je sais que je l'ai blessée, tout comme j'ai blessé Isaac, même si c'est quand même différent. Elle se décale pour me laisser entrer, et une fois fait, elle se poste face à moi, visage fermé et bras croisés. Son regard noir me donnerait presque des frissons dans le dos. Je ne l'ai jamais vue comme ça face à moi. Je sais que je mérite ce traitement, mais ça me fait mal. Je ne sais pas quoi lui dire, par où commencer. Je n'aime pas me faire plaindre, dire que je suis malade pour attirer la pitié. Mais c'est la vérité pourtant, si je suis partie c'est à cause de cette foutue maladie. « Comment as-tu pu ? ». Je suis au bord des larmes, mais je me retiens, je n'ai pas le droit de craquer, elle a perdu sa mère il y a 3 mois, ce n'est pas à moi de pleurer.

Je prends une grande inspiration, passe mes mains dans mes cheveux pour essayer de reprendre mes esprits. Je tremble presque, bizarrement c'était presque plus facile avec Isaac. Cette journée est vraiment éprouvante... Heureusement Nathan est là pour m'épauler le temps que cette épreuve difficile ne se calme. «Je... je suis partie parce que...» Je ferme les yeux très fort un instant et me pince les lèvres, avant de lâcher d'un coup «Je suis malade.». Ma main glisse dans ma nuque humide. J'ai presque du mal à respirer tellement j'ai peur de sa réaction. Je repose mon regard sur elle, il est devenu plus interrogatif qu'en colère. «Y'a 6 mois j'ai été chez le médecin parce que j'me sentais pas super bien, fatiguée, sans savoir pourquoi. Et il m'a appris que j'avais une leucémie. Un stade avancé. Il fallait que j'me fasse soigner super rapidement, et encore j'étais même pas sûre de m'en sortir. Alors j'ai décidé de partir, j'avais peu de chance de m'en sortir indemne, et j'ai préféré qu'Isaac m'oublie en pensant que j'étais une connasse plutôt qu'il me voit dépérir et peut être même mourir. Ça a été un choix très difficile, que parfois je regrette, mais maintenant je suis là.»

Je baisse les yeux, par honte de moi sans doute, ou pour ne pas voir son regard, j'ai toujours peur qu'on me pardonne simplement par pitié. Je soupire largement et relève la tête vers elle. «Je veux surtout pas que tu me pardonnes juste parce que je te fais de la peine parce que je suis malade. J'ai pas été là quand tu as eu besoin de moi, et rien que pour ça tu as le droit de m'envoyer chier. Evidemment ça me ferait mal mais je le mérite après tout... Je voulais juste que tu saches que je ne suis pas partie pour quelqu'un d'autre, que je n'ai pas voulu changer de vie ou quoi que ce soit d'autre. J'aime Isaac plus que tout, et Théa aussi. Maintenant que ma santé est sur la bonne voie je regrette mon choix parce que je me dis que j'aurai pu vivre ça avec les gens que j'aime, mais au moment où je l'ai appris c'est juste la peur qui a parlé, j'arrivais plus à réfléchir correctement...»

Je sens mes larmes monter, mes yeux brillent mais je retiens au maximum mes larmes, je ne veux pas craquer. Je m'en veux déjà trop de ne pas avoir été présente pour elle, je n'ai pas le droit de pleurer, pas maintenant. J'espère juste qu'elle me pardonnera un jour...