Journée froide d’octobre. Teddy avait enfilé un gros pull par-dessus ses collants noirs troués. La vie de bohème, ce n’est pas le luxe mais la jeune fille se plaisait ainsi. Qu’importe son style vestimentaire, c’est ce qui la représentait. Son père était bien aujourd’hui, il avait toute sa mémoire et profitait de ses quelques heures de tranquillité avec sa mère en ville. C’est que c’était rare depuis ces dernières semaines alors chaque moment était presque béni. Pour Teddy, ce n’était pas une journée farniente, mais du boulot. Elle avait accepté de s’occuper des biquettes aujourd’hui pour gagner quelques dollars et s’offrir ainsi une soirée en ville pour le weekend. Elle devait changer la paille, nourrir aux biberons l’un des bébés et s’occuper d’une vieille biquette qui avait de l’arthrose. Une journée riche en émotion, surtout que le responsable était absent pour la journée. Teddy aimait les animaux donc cela ne lui posait aucun problème. Fourche en main, la jeune fille chantonnait un air de rock tout en retirant la paille souillée. Déhanchement, pose amusante, elle s’amusait avec ses écouteurs sur les oreilles. C’est qu’elle n’entendit pas Romuald qui passait par là et qui se moqua gentiment d’elle en l’imitant. Un doigt disgracieux plus tard et la jeune fille reprit sa corvée avec le sourire aux lèvres. Deux heures après, le front humide des efforts, elle s’installa sur une botte de paille avec un sandwich. Impossible d’être tranquille lorsqu’on a de la nourriture près des bêtes. Elles étaient toutes là à se bousculer avec l’espoir qu’un morceau tombe ou que Teddy soit généreuse et leur offre son repas du midi. C’est lorsqu’un combat sembla presque commencer qu’elle décida d’effriter son pain pour satisfaire leur envie et ne plus assister au carnage qu’ils allaient commettre. « Allez, on se calme là ! » Soupirant, Teddy descendit de son perchoir pour continuer sa tâche. Nourrir l’un des bébés qui n’avait plus sa mère, et ensuite aller vérifier l’état de Vanille, la plus ancienne des biquettes. Lorsque le petit Berlioz fut nourri, la jeune fille rentra dans sa roulotte pour prendre une douche bien méritée. Maintenant, elle devait juste passer quelques heures auprès de Vanille jusqu’au retour du responsable. Les cheveux mouillés, une barre de chocolat entre les mains, Teddy se rendit jusqu’à l’enclos de Vanille et s’installa près d’elle. Mais très vite, elle remarqua que la biquette bougeait peu. Inquiète, elle s’approcha d’elle pour la toucher et à peine une caresse que celle-ci se mit à geindre. Du moins, c’est l’impression qu’eut la jeune brune. Paniquée, elle appela rapidement le responsable qui ne répondit pas. Alors ni une, ni deux, elle prit le numéro d’un vétérinaire et tomba sur l’accueil. « Oui bonjour. Euh… j’ai une biquette qui ne va pas très bien. … J’en sais rien moi, elle ne bouge pas beaucoup. Elle est vieille et a de l’arthrose… Vous ne pouvez pas m’envoyer quelqu’un ? … » Teddy donna l’adresse du cirque en espérant que le vétérinaire pourrait se déplacer, car elle n’avait pas eu une réponse claire au téléphone. Remplissant un biberon d’eau, la jeune fille prit soin de la bête comme elle put. Puis lorsqu’elle entendit le bruit d’un moteur, elle sortit en priant que ce soit le vétérinaire.

La jeune Teddy fut soulagée lorsque surgit de la voiture un homme qui prit ce qui ressemblait fortement à du matériel. Et lorsqu’il s’approcha pour se présenter, son sourire s’étira et elle croisa son regard aussi azur que le sien. « Bonjour. Oui, c’est une vieille biquette et aujourd’hui, elle est bizarre. » Les sourcils froncés, Teddy se retourna en invitant le vétérinaire à la suivre pour qu’il puisse rencontrer la créature et fasse son propre diagnostic. Elle enjamba la petite barrière pas plus haute que trois pommes mais un obstacle contraignant pour la vieille biquette. Elle montra Vanille d’un geste en se plaçant de profil. « Voici Vanille. Elle a de l’arthrose mais en général, elle ne reste pas couchée comme ça. Elle bouge un peu, enfin elle est plus active que ça. » Sa voix montrait clairement son inquiétude. Ô combien elle s’en voudrait si Vanille mourrait alors que c’était son jour de garde. Elle s’en voudrait durant de longues semaines, même si le responsable avait conscience de l’état de santé de sa biquette et que si ça n’avait pas été avec Teddy, ça aurait pu se passer avec lui. Se penchant légèrement pour voir ce qu’il était en train de faire, elle ne pouvait s’empêcher de le reluquer également. Et elle se fourvoyait mentalement d’avoir de telles pensées dans un instant comme celui-ci. Mais que faire, Teddy restait un Don Juan au féminin. Puis, lâchant le jeune homme du regard, elle se concentra à nouveau sur Vanille avec une petite grimace. « Elle ne va pas mourir hein ? Dites-moi qu’elle ne va pas mourir parce que sinon, je serais dans une merde totale. » Cette scène lui rappelait une autre lorsqu’elle était plus jeune. Elle s’était beaucoup attachée à l’un des singes qu’ils avaient à l’époque. Il s’appelait Mr Bingle. Ce sont des créatures très affectueuses, intelligente mais surtout malicieuse et il arrivait fréquemment que la petite Teddy fasse quelques bêtises avec lui. Il était déjà dans la troupe depuis de nombreuses années et Teddy en avait vécu quelques unes avec lui jusqu’à ce qu’il meurt de vieillesse. Cela avait été si difficile pour la jeune fille qui s’était promis de placer une barrière sentimentale. N’allons pas dire que son manque d’attache envers la gente masculine était à cause de cela, mais il devait y avoir un lien. Et depuis la mort de Mr Bingle, elle ne s’était pas rattachée à une autre créature du cirque, dans l’unique but de ne pas revivre cette étape délicate et difficile. Mais Vanille, même si elle ne l’aimait pas comme le singe, ça restait toujours douloureux. Puisque même si elle ne le montrait pas, Teddy restait une jeune fille sensible et elle ne pouvait empêcher cela. Se torturant les doigts, elle patientait en espérant que Geoffroy la rassure sur le cas de Vanille.