Je suis installée dans mon fauteuil et Arthur me fait face avec cet air passablement las qui signifie qu’il est soit en train de s’ennuyer profondément, soit en train de ressasser sa vie sentimentale merdique qui lui donne envie de sauter par la fenêtre. Je le sais parce que d’habitude, je lui pose la question pour savoir ce qu’il se passe. Mais depuis quelques jours, son état est devenu presque permanent, plus besoin donc de poser la question. Je suppose que c’est en parti lié au fait qu’il avait jusqu’à il y a trois jours la garde de son fils qui est maintenant rentré chez son américaine de mère, mais je n’ose pas poser clairement la question de peur que ça le replonge dans ses idées noires. Alors je me contente de me lever de mon fauteuil pour me glisser sur ses genoux, embrassant sa joue avec tendresse. Je dépose mon front contre son épaule comme lorsque j’étais gamine et inspire. « Cesse de ressasser tes pensées ». Je soupire doucement, et me lève finalement pour quitter ses genoux et la pièce. Je jette un œil à ma montre et peste contre l’heure qu’il est déjà, je vais presque être en retard. Presque. « Je reviens tard, j’ai une soirée de folie qui m’attend ». Je souris un peu, en réalité réellement heureuse d’échapper à deux choses : les idées noires de mon frère, et les soirées perpétuellement identiques que je passe depuis que j’ai fui Paris pour arriver ici. Sortir seule, essayer de rencontrer du monde, tomber sur le pénible de service, rentrer seule et se coucher dans des draps froids avec la certitude accablante que je ne suis vraiment pas douée pour les relations sociales et qu’en plus de ça ma solitude pourrait ne jamais réellement trouver de rempart quelque soit l’endroit de la planète ou je pourrais me trouver. Je n’ai jamais été une jeune fille agitée, j’ai fait mes études dans le calme le plus total, enchainant les bonnes notes sans rencontrer de faille majeure. Je suis systématiquement passée dans la classe supérieure avec les honneurs et en général, quand on me proposait une soirée, je déclinais gentiment en expliquant que je n’étais pas tellement d’humeur, que je n’avais pas de moyen de transport ou qu’un fort mal de tête me clouait au lit.

La réalité était toute autre, mes samedis soirs, contrairement à ceux de la majorité de mes camarades, étaient composés de soirées banales et inutiles. Mes parents, souvent de mondanités, abandonnaient la maison d’abord à la nourrice puis à nos ainés, qui eux passaient des heures le nez dans leurs bouquins ou accompagnés. Arthur montait dans ma chambre avec les paquets de biscuits subtilisés dans les placards à coup de courage effronté, et se glissait dans la cabane qu’avait fait monter mon père dans une mezzanine aménagée exprès pour moi. Là, on dinait exclusivement de sucrés, refaisant le monde et jouant à divers jeux de sociétés jusqu’à ce qu’on s’écroule dépuisement, tout simplement endormis. Maman criait toujours beaucoup quand elle nous trouvait là le matin, mais ma grande sœur était souvent la responsable désignée idéale pour ses remontrances. Nous étions ainsi plutôt épargnés et satisfaits de la soirée.
Tout ça pour dire que finalement, sortir et boire avec les jeunes de mon âge n’a jamais été ma principale préoccupation dans la vie. Ce qui rend difficile toute adaptation. Et puis mon but en quittant n’était pas de devenir une débauchée qui peut faire ce qu’elle veut sans se soucier des conséquences. J’ai quand même 25 ans et il n’est pas même question une seule seconde que mon sérieux me quitte. Juste respirer, réfléchir, se reconstruire.

Je quitte la main en accrochant mon écharpe autour de mon cou et inspire, fourrant mes mains dans mes poches. Dans quelques minutes, je serai replongée dans l’enfance, quand je faisais du baby sitting pour acheter des robes. Parce que Maman n’était pas une fan de tenues vestimentaires et préférait largement nous les faire acheter et nous laisser nous débrouiller, son seul contrôle résidant dans le fait qu’elle s’assurait que nous n’étions pas habillés trop court ou trop mal.
J’ai rencontré la maman d’Harlow par hasard et je lui ai proposé très rapidement de m’occuper de sa fille les soirs éventuels où elle ne serait pas disponible. Elle a accepté volontiers et je lui ai laissé mon numéro de téléphone, reportant notre entrevue à la prochaine fois qu’elle aurait besoin, qui s’est avérée être ce soir.

Marley est partie, et je me retrouve face à une adorable petite fille qui m’a l’air tout à fait charmante. Je lui offre un grand sourire et pose mes mains sur mes hanches avec un petit rire discret. « Alors, raconte moi tout, qu’est-ce que tu veux faire de beau ce soir ? » J’hausse les sourcils et me penche pour me mettre à sa hauteur.